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REVUE. — CHRONIQUE.

France était souvent déchirée par la guerre civile, où la féodalité, la royauté et les communes, par leurs luttes incessantes, remplissaient l’Europe de troubles et de désordres. Il était facile alors d’être ou de paraître un bon gouvernement. Aujourd’hui on est plus difficile, et les gouvernemens trop défectueux, en particulier ceux qui n’ont pas le pouvoir de remplir leur mission, non-seulement n’obtiennent pas toute la considération qu’ils doivent désirer d’obtenir, mais ils inspirent de l’inquiétude et attirent sur eux, bon gré mal gré, les regards de leurs voisins.

La convocation des chambres est remise au 27 décembre. Le ministère paraît décidé à réserver pour la tribune des explications qu’on attend de lui sur plusieurs points importans, tels que le désarmement, l’évacuation complète de la Syrie, etc. Est-il vrai que la mesure du désarmement soit appliquée même à une partie de notre flotte ? Ce serait là un fait grave que nous déplorerions d’autant plus qu’il serait impossible de l’expliquer par des motifs purement financiers. Ce n’est pas dans le budget de la marine que le trésor doit chercher les ressources dont il a besoin.

Il est aussi des faits particuliers sur lesquels il importe que le gouvernement s’explique nettement. Nous voulons parler d’abord du traitement qu’on a fait subir à des prévenus, aux rédacteurs des journaux de Toulouse. C’est un traitement qu’on pourrait à peine se permettre à l’égard d’hommes féroces, prévenus d’attentats violens contre les personnes. D’un autre côté, des plaintes amères sont faites au nom des prisonniers du Mont Saint-Michel. Ce sont encore des faits qu’il importe d’expliquer ou de démentir.

On attribuait ces jours derniers au ministère la pensée d’une réforme électorale qui consisterait dans l’adjonction de la deuxième liste du jury. La nouvelle nous paraît hasardée. Si elle est vraie, il faut du moins reconnaître qu’elle n’est pas vraisemblable. Non que la mesure soit en elle-même d’une très haute importance ; mais, quelle qu’elle soit, le parti conservateur, en la proposant, croirait abaisser son drapeau, et s’avouerait en quelque sorte vaincu, impuissant du moins à tenir seul la campagne. C’est pour lui une question de principe, au point que, lors de la dernière réforme électorale, il préféra exclure les capacités, et consentir à l’abaissement du cens, qui fut réduit à 200 fr. Mauvaise combinaison dans les idées conservatrices ; car, en abaissant le cens, on appelait dans les colléges électoraux des électeurs dont la présence rendait ridicule l’exclusion des capables, et on s’exposait ainsi à voir la question des capacités se reproduire avec plus de force et plus de vivacité. On hasardait une concession qui devait ensuite fournir un argument de plus contre le système en vigueur. Le fait est que le principe du cens, en tant que principe exclusif, n’est spécieux que dans le système de ceux qui n’admettent au droit électoral que la propriété territoriale. Peu importe alors la capacité de l’électeur ; c’est la terre qui règne, et ce n’est pas l’homme. Mais si l’épicier du coin peut être électeur, on demandera toujours pourquoi un juge du tribunal de la Seine ne le serait pas ? Quoi qu’il en soit, en supposant même que le ministère sentît le besoin de cimenter la majorité par quelque concession, il est difficile de croire