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posé à une province française de ne la pas incorporer complètement dans la grande unité nationale, cette proposition aurait été reçue comme une injure. Du Rhin aux Pyrénées, des Alpes à l’Océan, tous se seraient écriés : Nous sommes aussi bons Français que vous. Le Vendéen lui-même était unitaire. C’est à la France entière qu’il voulait imposer sa religion et son roi. Est-ce là la disposition des esprits dans les provinces basques ? Non, certes. Si elles se résignent, ce ne sera que par lassitude ou par crainte, le mécontentement au fond de l’ame, la résistance dans les cœurs. Et dans quel moment les a-t-on conviées à l’unité nationale ? Lorsque le parti vainqueur lui-même porte les plus rudes atteintes à ce principe, en foulant aux pieds les lois, et en se livrant à tous les emportemens de l’esprit municipal.

En présence de tous ces faits, il est difficile de ne pas craindre pour l’Espagne une longue suite d’agitations et de désordres. On n’aperçoit nulle part une autorité forte et régulière. Espartero lui-même paraît manquer de confiance dans les pouvoirs de l’état, et redouter ceux qui devraient lui venir en aide et lui donner une grande force morale. Pourquoi en effet n’a-t-il pas convoqué les cortès ? Au milieu d’une pareille crise, tout paraissait appeler le concours des deux assemblées, si ce n’est au moment même de la lutte, immédiatement après du moins, lorsque la puissance des lois devait succéder à la puissance des armes, lorsqu’il fallait punir, récompenser, rétablir partout l’ordre et l’autorité du gouvernement légal. Les cortès cependant n’ont pas encore été convoquées ; on dirait que l’Espagne en est à la monarchie administrative de M. Zea. Ce n’est pas un reproche que nous adressons à Espartero. Il a peut-être agi fort sagement, peut-être a-t-il ainsi épargné de grands malheurs à l’Espagne. Nous ne connaissons pas assez l’état du pays pour énoncer ici une opinion à ce sujet. Seulement il nous paraît évident que, s’il avait espéré d’y trouver des élémens d’ordre et de puissance, le régent aurait promptement convoqué les cortès. On dit aujourd’hui qu’elles seront convoquées pour le 15 décembre.

Quoi qu’il en soit, laissons aux Espagnols le soin de résoudre les questions intérieures qui agitent la Péninsule. Rien jusqu’ici n’autorise l’étranger à se mêler des affaires de l’Espagne. Heureusement les bruits qu’on avait répandus ont été démentis ; il n’y a pas eu de Français assassinés à Barcelone. La conduite de notre gouvernement est nettement tracée. Il doit laisser l’Espagne à elle-même, tout en faisant des vœux sincères pour que l’ordre y soit promptement rétabli, tout en remplissant scrupuleusement à son égard les obligations qu’impose aux divers gouvernemens le droit international. Il doit en même temps veiller et se tenir sur ses gardes, car l’Espagne est un grand pays en révolution, un pays où s’agitent violemment des factions ennemies de tout gouvernement régulier, un pays où l’on s’applique à répandre et à faire germer des sentimens d’hostilité envers la France. Entre l’action et l’inaction, entre l’intervention que rien ne justifie et la simple observation que tout nous commande dans ce moment, il n’y a pas de situation intermédiaire, il n’y aurait rien du moins qui fût à la fois digne et légitime.