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DES AUTEURS ESPAGNOLS CONTEMPORAINS.

prits des classes supérieures, sous l’influence des rayons étrangers, se trouve dépourvu de toute parenté avec la nation elle-même. De quel mépris les temps passés sont-ils accablés ! Comme l’ancienne Espagne est traitée par les nouveaux Espagnols ! Lisez le portrait du vieux Castillan, par un des plus ingénieux écrivains de ce temps-ci. Quel dédain ! quel dégoût pour ces mœurs grossières et rustiques de l’ancienne gentilhommerie ! Comme Larra, Somoza, Campo Alange, Miñano, Mesonero et tous les autres nous prouvent plaisamment que l’Espagne de 1750 était mauvaise et décrépite ! Comme ils prennent plaisir et orgueil à se détacher d’elle, à la repousser du pied comme un cadavre ! Hélas ! pour aller où ? Au chaos ; car tout se tenait, et le talisman qui donne l’avenir aux peuples, c’est le passé.

Il était impossible que l’Espagne, si violemment mêlée à tous les mouvemens de l’Europe dans ces derniers temps, ne se détachât pas de ses souvenirs, qui ont tant de grandeur et qui faisaient sa force. La littérature espagnole la plus récente, dénuée de première intention et d’initiative, forme donc un supplément et un appendice à la littérature européenne. Il n’y a pas d’académie qui ne s’honorât des noms de Lista, de l’helléniste Hermosilla, de l’érudit et sagace Clemencin, de l’économiste Florez Estrada, de l’historien Navarrete. Ce sont des hommes lettrés et ingénieux que Mesonero, Miñano, et cet infortuné Larra dont nous parlerons tout à l’heure. En dépit de cette fécondité, si vous cherchez une Espagne littéraire, vous ne trouvez que l’Europe imitée par les esprits les plus distingués de l’Espagne. Les cris du Nord, la brise nocturne d’Young, le souffle écossais de Walter Scott, le sifflet aigu de nos feuilles satiriques, le clair de lune de Shelley et de Wordsworth, s’y mêlent et s’y confondent. Vous retrouvez la copie attentive de nos civilisations modernes dans les fragmens empruntés par M. Ochoa aux auteurs espagnols vivans. Ce recueil fait avec une remarquable habileté, avec beaucoup de goût et d’exactitude, semble introduire celui qui le parcourt dans une région paisiblement civilisée, un peu affaiblie, livrée à nos goûts incertains et à nos ternes passions. Vous trouvez là des drames imités de Victor Hugo, des discours sur l’économie politique analogues aux travaux de M. Jean-Baptiste Say, des odes anacréontiques, des élégies à la Wordsworth, des peintures de mœurs dont Addison ne renierait point la parenté, des critiques et des dissertations assez honnêtes sur le romantisme et le classicisme, des essais satiriques d’un ton léger, précisément dans le goût de nos journaux épigrammatiques, enfin quelques-unes de ces inventions sataniques