Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/668

Cette page a été validée par deux contributeurs.
664
REVUE DES DEUX MONDES.

S’égrainent au hasard avec les fleurs mêlées ;
Et l’on voit s’échapper les billets et les vers
Des cassettes de laque aux tiroirs entr’ouverts.

En prodiguant ainsi les attributs de fête,
Quelle noire antithèse avais-tu dans la tête ?
Quel sombre épouvantail ton pinceau sépulcral
Voulait-il évoquer, pâle Valdès Léal ?

Pour te montrer si gai, si clair, si coloriste,
Il fallait à coup sûr que tu fusses bien triste,
Car tu n’as pas pour but de faire luire aux yeux
Un bouquet de palette, un prisme radieux,
Comme un Vénitien qui, dans sa folle joie,
Verse à flots le velours et chiffonne la soie.

Tu voulais, au milieu de ce luxe éperdu,
Faire surgir plus morne et plus inattendu
Le convive importun, l’affamé parasite,
Dont nul amphitryon n’élude la visite.

En effet. — Le voici, l’œil cave et le front ras,
Qui dans la fête arrive, un cercueil sous le bras,
Ricane affreusement de sa bouche élargie,
Et met, brusque éteignoir, sa main sur la bougie.
Les heureux, les puissans, les sages et les fous,
Ainsi la maigre main doit nous éteindre tous !

Hélas ! depuis le temps que ce vieux monde dure,
Nous la savons assez, cette vérité dure,
Sans nous montrer, Valdès, ce cauchemar affreux,
Ce masque au nez de trèfle, aux grands orbites creux,
Trous ouverts sur le vide, et qui font voir dans l’ombre
Les abîmes béans de l’éternité sombre !

(Séville.)


Théophile Gautier.