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ESPAGNE.

UN TABLEAU DE VALDÈS LÉAL.

Après l’autel sculpté, le Moïse célèbre,
Et le saint Jean de Dieu, sous sa charge funèbre,
À Séville on fait voir, dans le grand hôpital,
Un tableau singulier de Juan Valdès Léal.

Ce Valdès possédait, Young de la peinture,
Les secrets de la mort et de la sépulture ;
Comme le Titien les splendides couleurs,
Il aimait les tons verts, les blafardes pâleurs,
Le sang de la blessure et le pus de la plaie,
Les martyrs en lambeaux étalés sur la claie,
Les cadavres pourris, et dans des plats d’argent,
Parmi le sang caillé, les têtes de saint Jean ;
— Un vrai peintre espagnol, catholique et féroce,
Par la laideur terrible et la souffrance atroce,
Redoublant dans le cœur de l’homme épouvanté
L’angoisse de l’enfer et de l’éternité.

Ce tableau, — toile étrange où manquent les figures, —
N’est qu’un vaste fouillis d’étoffes, de dorures,
De vases, d’objets d’art, de brocards opulens,
Miroités de lumière et de rayons tremblans.
Tous les trésors du monde et toutes les richesses,
Les coffres-forts des juifs, les écrins des duchesses,
Sur de beaux tapis turcs de grandes fleurs brodés,
Rompant leur ventre d’or, semblent s’être vidés.
Ce ne sont que ducats, quadruples et cruzades,
Un pactole gonflé débordant en cascades,
Une mine livrant aux regards éblouis
Ses diamans en fleur dans l’ombre épanouis ;
L’éventail pailleté comme un papillon brille ;
Sur la guitare encor vibre une seguédille ;
Et, parmi les flacons, un coquet masque noir
De ses yeux de velours semble rire au miroir,
Des bracelets rompus les perles défilées