Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/660

Cette page a été validée par deux contributeurs.
656
REVUE DES DEUX MONDES.

vue. Son opinion ne nous est connue que par ses votes et par quelques discours qu’il fit lire à la tribune par ses amis. Sa carrière s’ouvre en quelque sorte par la commission extraordinaire de 1813, que composaient avec lui MM. Lainé, Raynouard, Gallois et Flaugergues. C’est le grand évènement de sa vie. Quel fut son rôle à cette époque ? Il est évident que M. de Biran et M. Lainé furent d’accord sur tous les points. Ils ne s’aveuglaient pas ; ils ont joué ce grand coup les yeux ouverts. Que voulaient-ils ? La restauration des Bourbons ? la chute de l’empire ? Étaient-ils lassés de cette oppression, de cet impôt du sang, de ces éternelles guerres dont l’horreur continuait et surpassait quelquefois les désastres de la révolution ? Ils espéraient sans doute reconquérir quelque liberté intérieure ; mais à quel prix ! Il faut tout sacrifier à la liberté, hormis l’indépendance nationale. La commission en décida autrement, et elle avait si bien la majorité pour elle dans le corps législatif, que l’impression du rapport de M. Lainé fut votée par 223 voix contre 31. Si M. Lainé, comme on l’en accuse, avait alors des relations avec la famille royale, il est difficile de penser que M. de Biran n’y ait pas trempé. Ce qui est certain, c’est que, dans cette supposition même, il n’a cédé qu’à des convictions sincères et n’a considéré que l’intérêt du pays. Reste à savoir si un homme politique est absous pour être pur de toute trahison intéressée, et si on n’a pas à lui demander compte même de ses opinions les plus sincères, quand elles manquent de noblesse et de patriotisme.

L’empereur dit à la députation du corps législatif : « Votre commission a été guidée par l’esprit de la Gironde et d’Auteuil. » Il parlait ainsi en haine des idéologues, et peut-être au fond leur faisait-il trop d’honneur ; mais, dignes ou non d’être associés aux girondins dans la haine de Napoléon et dans les jugemens de l’histoire, on peut assurer du moins que les illustres membres de la société d’Auteuil aimaient sincèrement la liberté, et auraient su se dévouer pour l’indépendance. M. de Biran n’eut jamais avec eux que des rapports d’études, et dans la politique il ne portait ni leur esprit, ni celui de cette nouvelle école qui le regardait comme un de ses maîtres. Il n’y a qu’à suivre toute sa carrière durant la restauration. Les cours prévôtales, les lois d’exception, les lois restrictives de la liberté de la presse, il vote tout. La proposition de M. Barthélemy sur la réforme électorale, qui provoqua le projet d’adresse de M. Laffitte, M. de Biran la développe et la soutient ; il abandonne, pour cette fois seulement, et à son grand regret, le ministère, qui, ce jour-là, votait