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PHILOSOPHES MODERNES.

théorie de la raison générale qu’il a tenté de ressusciter et de transformer, a-t-elle aujourd’hui un partisan ? M. Lamennais lui-même, dans le fond de sa conscience, n’en est-il pas désabusé ? Sans doute, rien n’est plus faux, plus stérile, plus désastreux que la doctrine de la sensation ; mais toute faible qu’elle est, elle tient mieux sur ses pieds, elle est plus fondée en raison que toutes ces hypothèses inventées contre elle, et dont le bon sens public a dès long-temps fait justice.

L’école de M. Royer-Collard, encore tout expérimentale et psychologique, a dû beaucoup dans ces commencemens à M. de Biran, qui ne savait que de la psychologie, et qui même en psychologie avait concentré ses études sur un seul point. Occupée à reconnaître et à constater de nouveaux élémens dans l’esprit humain, à côté de la sensation, base unique des spéculations de ses devanciers, l’école ne sortait pas encore des études chéries de M. Maine de Biran, et elle n’avait pas pris son essor vers des questions d’un ordre plus élevé. Bientôt, sûre de son principe et de sa méthode, elle agrandit ses résultats, et s’efforça de trouver par la psychologie le monde extérieur, sa cause, et ses lois métaphysiques et morales. Il y avait à côté d’elle des philosophes ; elle seule était une école de philosophie, avec une succession d’hommes célèbres, un nombre considérable d’ouvrages importans, un enseignement régulier, et enfin un journal dont on connaît l’influence et les destinées. Quand elle fut ainsi constituée, et qu’elle eut, avec sa méthode et sa psychologie, une théodicée, une morale, une philosophie de la nature et de l’histoire, l’école resta fidèle à ses anciens chefs, à M. Royer-Collard qui l’avait fondée, à M. Maine de Biran qui lui avait fourni la plus riche part de ses ressources psychologiques. En 1828, M. Cousin, dans son analyse de Locke, rapportait publiquement à M. de Biran la théorie du principe de causalité et de la liberté humaine. Mais M. de Biran avait depuis long-temps abandonné l’école ; il s’était rencontré avec elle au point de départ, et ne l’avait pas suivie dans la route qu’elle venait de parcourir. La psychologie seule lui convenait ; il n’aimait pas ces grandes percées à travers le monde, qui expliquent la création, l’histoire, les sociétés, ramènent toutes les lois à une loi commune, et tous les évènemens de tous les siècles à la lutte de quelques principes qui attendent une conciliation. Pour avoir trouvé, au moins à ce qu’il pensait, le véritable homme intérieur, il croyait sa philosophie finie.

Une vive amitié s’était formée dès long-temps entre M. de Biran déjà vieux et M. Cousin qui venait de succéder à l’enseignement de