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PHILOSOPHES MODERNES.

faisait ainsi partie pour la seconde fois d’une sorte de société philosophique ; mais ici c’étaient d’autres principes, d’autres vœux, un autre monde, et cela n’en valait que mieux pour M. de Biran, qui avait laissé si loin derrière lui ses anciens maîtres. Au milieu de tous ces psychologues, cet observateur attentif et persévérant de lui-même, qui jusque-là n’avait vécu que pour la psychologie, et n’avait été heureux que par elle, jetait sur les questions des lumières inattendues, et dévoilait les plus secrètes profondeurs de l’ame en ramenant tout au point de vue de sa théorie. Il devenait, pour ainsi dire, professeur lui-même, à son insu.

Le cours de M. Royer-Collard roula tout entier sur l’analyse de l’intelligence et de la volonté humaine. Il décrivit l’intelligence d’après Reid et l’école écossaise, et la volonté d’après la théorie de M. de Biran, qui arriva ainsi pour la première fois au public philosophique ; car le mémoire ou son créateur l’avait consignée n’était pas même destiné à voir le jour. M. Royer-Collard adopta cette théorie sans restriction ni réserve, et en mettant ainsi au-dessus de toute contestation la liberté et la causalité, il détruisit radicalement le sensualisme et ses conséquences.

Qu’on ne s’y trompe pas, c’est par M. Royer-Collard que cette grande bataille fut d’abord livrée. Si notre pays a échappé à l’école sensualiste, au matérialisme et à ses conséquences fatales, si les doctrines spiritualistes ont été remises en honneur, c’est à M. Royer-Collard, c’est à M. de Biran et à M. Cousin que nous le devons. Il n’y avait qu’un moyen de vaincre réellement le sensualisme, c’était de l’attaquer dans sa source, sur le terrain de la psychologie, et d’y combattre pied à pied contre lui. Ceux qui ne savaient que gémir et se lamenter sur l’immoralité du matérialisme, faisaient des homélies et rien de plus. Il n’y a que les raisons qui soient des raisons. Signaler le danger, ce n’est pas le détruire. Qu’est-ce qu’une protestation, même la plus énergique, contre un système ? Qu’est-ce que de la colère contre des faits ? Il fallait un remède ; le remède, c’était, ce ne pouvait être qu’une psychologie plus complète, qui ne laissât rien en dehors d’elle-même, et qui n’eût pas, comme la philosophie de Condillac, le malheur de ne connaître qu’une partie de l’homme, et celle précisément qui importe le moins. Toutes les écoles spiritualistes s’attribuent la gloire de ce triomphe, et cela se conçoit ; c’est une gloire qui vaut la peine d’être disputée. Mais, en dehors de l’école éclectique, où sont les philosophes qui ont remonté à la source de l’erreur de Condillac, qui ont opposé les faits aux faits, une observa-