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PHILOSOPHES MODERNES.

mène la pensée de miracle en miracle, la philosophie expérimentale, c’est-à-dire la philosophie fondée sur la psychologie, est toujours d’accord avec le sens commun.

Du reste, si la théorie de M. de Biran est déjà tout entière dans ce traité de l’aperception immédiate interne couronné par l’académie de Berlin, elle y est exposée avec une obscurité, un désordre, une absence de développement qui trahit le malaise qu’éprouvait encore l’auteur, tout nouveau dans cette voie qu’il venait de s’ouvrir, et dont il n’avait pas pris pleinement possession. Le travail de l’enfantement se fait partout sentir. M. de Biran n’est parfaitement maître de ses pensées que dans son mémoire sur les Rapports du Physique et du Moral de l’Homme, qu’il envoya en 1813 à l’académie de Copenhague, et dont il fit depuis, en le remaniant, le plus considérable et le mieux fait de tous ses ouvrages. Il y expose les théories diverses de Descartes, Malebranche, Leibnitz, Stahl, Haller, Bichat, en homme qui a assez réfléchi sur ces matières pour pénétrer dans les profondeurs les plus cachées d’un système et en découvrir immédiatement le fort et le faible. Son style y est toujours négligé et obscur, mais dans quelques passages son observation psychologique a été si sûre et si heureuse, qu’il fait jaillir en quelque sorte des entrailles de la chose un mot, une phrase, qui rendent tout à coup le fait avec une vérité frappante. Dans l’intervalle de ces deux mémoires, tout avait changé dans M. de Biran et autour de lui ; l’école sensualiste n’avait plus ni vogue ni défenseurs. Elle ne fut ressuscitée que long-temps après par les efforts énergiques, et en définitive impuissans, de M. Broussais. Les cours de M. Royer-Collard avaient commencé en 1811 à la Faculté des Lettres, et dès le premier jour le professeur avait porté son drapeau dans un autre camp. La révolution philosophique était, pour ainsi dire, consommée par cela seul qu’elle commençait. Le système de la sensation était détruit ; un nouveau système apparaissait ; il n’y avait plus qu’à marcher en avant.

Quelle est précisément la part de M. de Biran dans l’enfantement de cette nouvelle école ? Quelle est la part de cette école elle même dans la destruction définitive du sensualisme, et la création d’un nouveau mouvement philosophique ? Ce qui fut fait alors contenait-il en germe ce qu’on a fait depuis ? Au moment où M. de Biran dans ses mémoires, et M. Royer-Collard dans son cours, établissaient la philosophie sur la psychologie, et la psychologie sur de nouvelles bases, pouvait-on déjà prévoir les théories de M. Cousin sur la raison, l’éclectisme, le renouvellement des études historiques, et cet en-