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fondait la science psychologique, il en aurait révélé le résultat le plus précieux, et il n’y aurait pas eu de Spinosa.

La commission de l’Institut qui examina ce mémoire de M. de Biran se composait presque exclusivement de membres de la société d’Auteuil, tous sensualistes, qui durent comprendre dès-lors qu’ils avaient un ennemi dans leur propre sein. C’étaient Cabanis, Daunou, Destutt-Tracy, Ginguené et Réveillère-Lépeaux, l’inventeur de la théophilanthropie, qui, lors de son passage au directoire, avait voulu créer un culte à l’exemple de Robespierre. Ils s’honorèrent en accordant le prix à un ouvrage dont toutes les idées leur étaient contraires. M. de Biran, dans son troisième mémoire, qui fut couronné en 1807 à l’académie de Berlin, acheva ce qu’il avait si heureusement commencé ; c’est là qu’il prend pour type de la volonté l’effort musculaire, et qu’il en donne une théorie complète. Quelle révolution ne fait pas cette seule découverte dans le monde des hypothèses ! Dans l’impuissance d’expliquer par la seule observation expérimentale les rapports de l’ame et du corps, l’imagination des philosophes s’était donné carrière. Les moins hardis avaient inventé une substance intermédiaire entre la substance spirituelle et la substance corporelle, êtres équivoques qui n’avaient d’attribut bien déterminé que leur mobilité extrême, qui, heureusement pour les inventeurs, échappaient, comme esprits, à l’analyse du corps, et, comme corps, à l’analyse de la conscience, et dont l’existence n’avait d’autre cause que cette croyance naïve, qu’en multipliant le mouvement on l’expliquerait. D’autres appelaient à leur secours une légion de sylphes invisibles, serviteurs soumis des moindres volontés de l’homme, attentifs à mouvoir mon bras quand je me résous de le mouvoir, tout un monde des contes de fées et des Mille et Une Nuits, qui n’expliquait rien sans doute, mais qui donnait le change à l’esprit en occupant l’imagination et en transportant la difficulté de ce monde réel dans un monde imaginaire. De grands philosophes ne craignaient pas d’attribuer à Dieu lui-même ces humbles fonctions ; hypothèse plus merveilleuse que toutes les autres, qui résolvait le problème en le supprimant et en l’abîmant, pour ainsi dire, dans le problème éternellement insoluble de la toute-puissance divine. Pour couper court à toutes ces hypothèses et reléguer toutes ces machines qui encombraient la philosophie dans les ouvrages d’imagination, leur véritable place, il n’y avait tout simplement qu’à regarder les faits. En philosophie comme partout, l’observation est l’irréconciliable ennemie de la fantaisie, et à la différence de la philosophie hypothétique qui pro-