l’œil une régularité, une simplicité, qui le charmaient sans le fatiguer, et l’on était à ce point préoccupé de leur belle architecture, qu’on oubliait en les voyant que toutes les salles en étaient vides.
Rien ne prouve mieux la faiblesse de cette triste philosophie que la parfaite assurance de ses partisans et leur confiance inaltérable en leur propre infaillibilité. Ce grand repos, cette immobilité, c’est la mort. Le sensualisme dévore vite toute sa carrière, et arrive sur-le-champ à sa propre limite, qu’il prend pour la limite même de la science. Descartes faisait le Discours de la Méthode ; les sensualistes au contraire, écrivaient tous leur Catéchisme : c’est que l’un avait la conscience d’ouvrir à la curiosité humaine une carrière inépuisable, et les autres, après quelques pas, se croyaient arrivés et ne voyaient plus rien à tenter. « Il faut prendre Cabanis et moi, disait M. de Tracy en confidence à ses amis, tirer de nos livres un petit catéchisme populaire et le répandre à profusion. » Le professeur de philosophie des écoles normales, Garat, disait de Condillac que « ses découvertes ne laissaient plus à aucun génie et à aucun siècle la possibilité et l’espérance d’en faire de plus belles et de plus utiles. » Quant à Cabanis, dont l’œuvre avait été de miner peu à peu la barrière qui sépare la médecine de la philosophie, voici ce qu’il écrivait dans ses Rapports du Physique et du Moral de l’Homme : « Nous ne sommes pas sans doute réduits à prouver que la sensibilité physique est la source de toutes les idées et de toutes les habitudes qui constituent l’existence morale de l’homme… Parmi les personnes instruites et qui font quelque usage de leur raison, il n’en est maintenant aucune qui puisse élever quelques doutes à cet égard. » Le bon et spirituel Laromiguière, qui était resté psychologue, mais qui n’en fait pas moins, pour d’autres raisons, partie de la même phalange, était aussi tout satisfait des perfectionnemens qu’il avait introduits dans la doctrine de Condillac. Il ne concevait pas qu’on pût désirer d’aller plus loin. Le sentiment-rapport était à ses yeux les colonnes d’Hercule de la science. Quand un philosophe illustre, qu’il avait eu pour disciple, et qui déjà sur les bancs dépassait son maître d’une coudée, fut le visiter dans sa dernière maladie, le moribond, qui lisait en ce moment un nouvel ouvrage de son élève, lui dit avec cette malice et cette douce ironie qui ne le quittait pas même alors : « Vous trouvez donc toujours ? » tant ils étaient rassurés dans leur prétendue science ! Jamais Montaigne ne s’arrangea si tranquillement dans son scepticisme. Loin de céder aux idées nouvelles, M. Laromiguière les