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PHILOSOPHES MODERNES.

Il y a près de trente ans que l’école éclectique a été fondée. Les cours de M. Royer-Collard l’établirent dès l’abord avec autorité dans le monde scientifique et littéraire, et depuis, l’enseignement et les ouvrages de M. Cousin lui ont donné cette importance et cet éclat que ses ennemis mêmes ne songent pas à contester. Qui ne sait de quelle popularité jouissait cette école sous les dernières années de la restauration, et de quelles attaques cette popularité fut bientôt suivie ? Il arrive aujourd’hui à l’école éclectique ce qui arrive toujours à la cause victorieuse : toutes les oppositions se réunissent contre elle, et divisées sur tous les points, elles ne sont d’accord que dans leur ressentiment. M. de Maistre, qui n’a pas eu d’adversaires, et ne connut jamais que des ennemis ; M. de Bonald, et son disciple M. Buchez, qui n’étudient la philosophie qu’en haine de la philosophie, et rejettent également les méthodes expérimentales et les doctrines rationnelles ; M. de Lamennais, sous sa double forme d’apôtre et de tribun ; M. Pierre Leroux, rationaliste pourtant, et moins éloigné qu’il ne le pense d’une doctrine qu’il calomnie et qu’il ignore ; tous, jusqu’aux derniers et obscurs défenseurs de la philosophie sensualiste, tant de fois réfutée, tant de fois écrasée, reviennent sur cette polémique avec un acharnement sans exemple, et combattent l’éclectisme avec passion, avec colère, comme on attaque un parti, et non pas comme on discute un système. Quel fruit ne retirerait-on pas de ces discussions pour la grande cause philosophique, si elles étaient sérieuses et approfondies ! Mais parmi tant de détracteurs, combien y en a-t-il qui connaissent à fond ce qu’ils réfutent ? À part un petit nombre d’esprits élevés, tels que le traducteur d’Hamilton et quelques autres, qui font de la philosophie pour elle-même et se soucient plus de la vérité que du bruit, tous ces grands contempteurs de la méthode éclectique ne crient si fort à l’infamie que pour se mettre à l’unisson de leurs coryphées, et contenter derrière eux une troupe d’ignorans présomptueux et turbulens dont l’applaudissement les enivre. Aucun fait ne démontre mieux que la philosophie n’entre pour rien dans ces débats, et qu’il s’agit au fond d’un tout autre intérêt. À qui la faute, si la philosophie éclectique n’est pas mieux connue de ses adversaires ? Depuis trente ans qu’elle est publiquement enseignée en France, s’il est un reproche qu’on soit en droit de lui adresser, c’est de trop insister sur les principes et d’en outrer en quelque sorte la démonstration. Au-delà du Rhin, cette excessive clarté de l’école éclectique, cet attachement continuel à légitimer les méthodes et le point de départ, passent