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pour des cas extrêmes où l’intérêt de l’état courrait un danger réel, où la chose publique se trouverait gravement compromise, cas qui ne se présenteront probablement pas plus à l’avenir qu’ils ne se sont présentés depuis l’origine du conseil d’état, j’admettrais que, par mesure de gouvernement, le conseil des ministres pût, à charge d’en rendre compte aux chambres, proposer au roi d’apposer son veto sur une décision de la section du contentieux. Pour faciliter l’exercice de ce pouvoir, les décisions contentieuses devraient, comme par le passé, être approuvées par ordonnance du roi, forme plus solennelle et dont l’emploi est nécessaire toutes les fois que la décision porte sur des actes de la couronne qui ne peuvent être mis au néant que par l’autorité même dont ils émanent. La responsabilité du ministre contre-signataire d’une ordonnance d’approbation ne serait engagée que dans des circonstances tout-à-fait extraordinaires, où il n’aurait pas déféré la décision au conseil des ministres. La responsabilité du cabinet entier serait engagée toutes les fois qu’une ordonnance de veto interviendrait.

Ce système consacrerait, non le droit dont on dit le gouvernement investi de substituer une décision improvisée et irréfléchie à l’avis mûrement préparé du conseil d’état, mais la faculté qu’il possède aujourd’hui d’empêcher l’exécution d’une décision qui violerait ouvertement les lois et compromettrait un intérêt social.

L’intervention du conseil des ministres, l’obligation de rendre compte aux chambres, donnent à la mesure un caractère solennel qui prévient l’abus, et qui la fait rentrer dans le domaine de la responsabilité : elle n’est plus un acte de juridiction comme dans le projet du gouvernement ; elle devient un acte politique.

Ce système fort simple me paraît satisfaire à toutes les nécessités.

Aux citoyens, il donne dans presque tous les cas, dans tous probablement, une juridiction véritable ; il ne la leur enlève jamais que pour la remplacer par une responsabilité sérieuse, vraiment politique et susceptible d’être exercée.

À l’état, il assure, pour les circonstances où son intérêt le prescrirait impérieusement, un remède extrême contre des énormités qui mettraient la société en péril.

Les chambres sont informées des mesures prises par le gouvernement. Si elles approuvent, un ordre du jour maintient le veto ; si elles blâment, elles avisent selon les cas, renvoient l’affaire au ministre, provoquent une mesure administrative ou légale, et au besoin recourent à leur initiative. Jusque-là, le droit en litige est suspendu.