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Rien n’est plus simple que le raisonnement en vertu duquel on soutient que, si un jugement doit intervenir, il doit émaner de l’autorité instituée par les lois pour rendre des jugemens ; mais aussi rien n’est plus contraire aux données de l’expérience.

Les affaires administratives comportent une justice réglée comme les affaires judiciaires, mais elles doivent être appréciées selon certaines tendances qui leur sont propres.

Dans les affaires de droit civil ordinaire, les parties en présence procèdent au même titre, ont droit aux mêmes avantages, et la balance ne peut jamais pencher plus pour l’une que pour l’autre. Dans les affaires administratives, l’intérêt public réclame certaines facilités, certains avantages qui ne modifient pas le droit, mais qui peuvent influer sur son appréciation. Un jour, le premier président d’une cour royale refusait d’accorder un tour de faveur à une cause qui intéressait l’état. Il s’agissait de l’expropriation d’une maison faisant saillie sur la voie publique. Cette maison laissée debout, dit-il, attestera qu’en France la justice est égale pour tous : voilà l’esprit de l’autorité judiciaire. Devant le conseil d’état, la gêne éprouvée par la circulation publique eût déterminé l’examen de la contestation avant toute autre ; voilà l’esprit de la juridiction administrative. Un particulier qui n’exécute pas un marché passé avec l’entrepreneur lui doit une indemnité relative au gain dont il le prive ; le Code civil l’établit ainsi. L’administration qui rompt un tel marché ne doit d’indemnité que relativement à la perte éprouvée ; c’est le principe du droit administratif. L’état, c’est-à-dire la collection de tous les citoyens, le trésor public, c’est-à-dire l’ensemble des contribuables, ne peuvent jamais être sacrifiés au citoyen ou au contribuable isolé défendant son intérêt individuel.

Les lois administratives sont entièrement distinctes des lois civiles ; elles exigent des études spéciales et particulières ; elles sont conçues dans un autre esprit et fondées sur des principes généraux qui leur appartiennent.

Ces différences rendent les tribunaux de l’ordre judiciaire peu propres au jugement des affaires administratives. J’en excepte le premier de tous, la cour de cassation. Elle est l’énergique et intelligent soutien des intérêts de l’état, mais elle doit cette vertu au grand nombre de ses membres qui, ayant passé par les affaires publiques, dans les chambres, dans les hauts emplois du gouvernement, en apprécient les nécessités et en comprennent les besoins. Du reste, elle n’a pas trop de son autorité, de sa constance et de son courage,