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On objecte que les choses se passent ainsi en ce moment et que le gouvernement, qui n’a jamais ni modifié ni rejeté aucun des avis du conseil d’état, continuera de les suivre tous sans exception.

Dans quel but lui réserver un droit dont on annonce qu’il ne se servira point ? Suffit-il qu’un système soit pratiqué pour que la loi l’approuve et le consacre ? Mais passons. Je nie encore une fois que le régime qu’on veut établir soit actuellement en vigueur. Il est vrai qu’on a toujours respecté les décisions du conseil d’état, mais ce respect n’a pas été accordé à leur autorité morale seulement : il a tenu en grande partie au doute réel que le gouvernement éprouvait sur son droit. Je n’hésite pas à dire que l’opinion commune, opinion entretenue par le langage même des organes de la couronne, donnait au conseil d’état, en matière contentieuse, une autorité propre. Les lois qui lui confèrent des attributions le nomment seul et ne font aucune mention, même indirecte, d’une approbation ultérieure. J’ai entendu cent fois des ministres, à l’occasion de pétitions, opposer que la décision objet d’une plainte avait été rendue par le conseil d’état, et décliner en conséquence toute responsabilité ; jamais les chambres n’ont fait difficulté de passer à l’ordre du jour en pareil cas. Il est donc tout simple qu’aucun ministre n’ait touché à une décision du conseil d’état, mais il n’en sera plus de même si le principe de la responsabilité est explicitement proclamé. Les ministres n’auront plus seulement le pouvoir de fait de détruire les décisions du conseil d’état ; ils en auront le devoir toutes les fois qu’elles ne leur paraîtront pas susceptibles d’approbation. Leur responsabilité ne serait qu’un vain mot, s’il leur suffisait, pour y échapper, de se retrancher derrière l’avis du conseil d’état. Cet avis n’ayant plus désormais qu’une valeur de raison, ils devront se faire une opinion à eux-mêmes, en rendre compte et en répondre. Par suite, ils useront du droit de réformer les décisions et de substituer leur opinion à celle du conseil d’état. La loi aura changé, elle sera au moins devenue plus explicite, et l’exemple du passé n’est pas une garantie pour l’avenir.

On témoigne enfin des craintes sur les abus que pourrait commettre une juridiction indépendante. On la représente envahissant les droits du ministère, ceux même des chambres, constituant un quatrième pouvoir et compromettant à la fois l’intérêt social, la fortune de l’état et les libertés publiques.

C’est supposer à plaisir des dangers imaginaires.

Tous ceux qui proposent de confier à une juridiction le conten-