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LE CONSEIL D’ÉTAT.

reuses pour l’état. Plusieurs impôts relèvent des tribunaux ordinaires, d’autres seraient privés de toute juridiction. Toutes les questions de comptabilité sont déférées à la cour des comptes, juridiction souveraine, indépendante et inamovible, et les questions relatives à la liquidation des pensions, à l’application des déchéances, etc., appartiendraient à une justice arbitraire, politique et non réglée.

Les mêmes affaires, selon qu’elles seraient examinées en premier ressort ou sur un appel, seraient soumises à un système différent en premier ressort, elles appartiendraient, par exemple, au conseil de préfecture, véritable juridiction ; sur l’appel, elles tomberaient dans les mains du pouvoir responsable.

Je n’aperçois pas clairement comment on peut expliquer ces contradictions.

Mais je laisse de côté ces difficultés pratiques, toutes graves qu’elles soient. On repousse la juridiction au nom des intérêts de l’état ; je veux voir s’il est vrai que le système de la responsabilité les protège réellement.

On se tromperait singulièrement si l’on s’imaginait que l’état trouve un grand profit dans l’arbitraire dont le principe de la responsabilité ministérielle est le corollaire. Pour ce qui concerne les marchés qu’il passe, plus il se réserve d’autorité discrétionnaire, plus il subit des conditions onéreuses pour le trésor : il achète à beaux deniers comptans la faculté de faire la loi à ceux qui traitent avec lui ; après l’avoir payée fort cher, il peut rarement en user ; la voix impérieuse de la justice, des obstacles de tout genre lui lient les mains et l’empêchent d’exercer tout son droit : il est donc loin d’y trouver son compte. Quant à l’application des lois administratives, je ne sais pas ce que gagne l’état à s’en attribuer le règlement suprême et quels dangers lui ferait courir une juridiction instituée pour en connaître. On dirait que les juridictions abusent toujours, et que les ministres ont le privilége exclusif de faire bien. La proposition contraire serait plus voisine de la vérité. Tout en faisant une part légitime aux droits privés, une juridiction, si elle est bien constituée, deviendra la gardienne fidèle des intérêts publics, et souvent même elle les défendra plus énergiquement que les ministres. Si l’on comparait l’ensemble des décisions rendues par les ministres avec celles du conseil d’état, par exemple, je suis assuré qu’on trouverait les bonnes maximes de gouvernement, les règles d’administration, les intérêts financiers de l’état plus constamment, plus puissamment défendues par les dernières, et il ne serait pas difficile d’en dire les raisons. Le gouverne-