Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/620

Cette page a été validée par deux contributeurs.
616
REVUE DES DEUX MONDES.

c’est une des ressources de la constitution, un bienfait du gouvernement représentatif, un secours suprême que réclame l’intérêt social, et les hommes qui savent avec courage et à propos engager ainsi leur responsabilité sont plus dignes d’éloge que de blâme. Mais ce droit extraordinaire, qu’aucune loi ne consacre, ne peut être considéré comme un exercice normal de l’action administrative, ni s’étendre à des lois qui touchent aux droits privés : il est circonscrit par sa nature dans le cercle de celles qui règlent les attributions générales et politiques de la couronne ; il ne saurait franchir cette limite ; il est d’ailleurs complètement étranger au règlement du contentieux administratif. À vrai dire, ce règlement n’a pour résultat et pour objet ni la violation des lois, ni leur exécution, mais seulement leur application et la solution des difficultés qu’elles soulèvent. Peut-il y avoir lieu à responsabilité à la charge de qui fait cette application ou donne cette solution ? tel est en réalité le point sur lequel doit porter notre examen.

Quelle serait cette responsabilité ?

La responsabilité pénale et criminelle, il n’en peut être question.

La responsabilité civile des ministres n’est point admise par notre législation, et, bien que la loi qui devait régler cet important sujet ne soit pas encore rendue, les trois pouvoirs se sont accordés pour ne la point établir. Le projet délibéré il y a quelques années admettait des actions civiles en dommages-intérêts de la part des particuliers contre les agens du pouvoir, mais il en affranchissait les décisions, ordonnances du roi, arrêtés de ministres ou de préfets rendus en matière contentieuse.

Reste la responsabilité politique ou morale, c’est-à-dire le droit de blâme et les manifestations parlementaires qui renversent un ministère.

Le règlement du contentieux administratif, à quelque autorité qu’il soit confié, ministère ou juridiction, est toujours un acte de justice et d’appréciation intellectuelle. Le ministre interpellé sur une décision de ce genre se retranchera dans sa conscience : il a prononcé selon son opinion ; le contrat, la loi, lui ont paru sujets à l’interprétation qu’il leur a donnée ; les circonstances de l’affaire se sont offertes à lui sous le point de vue auquel il les a envisagées. Il peut s’être trompé, mais qui en décidera, qui pourra d’ailleurs le rendre responsable d’une erreur commise de bonne foi ?

Supposons toutefois que le ministre ne puisse invoquer cette immunité ; il devra discuter la question et rendre compte des motifs