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LE CONSEIL D’ÉTAT.

pres engagemens : les règlemens d’administration publique ont la force et l’autorité de la loi ; ils procèdent comme elle et limitent à leur tour les pouvoirs qu’ils transmettent. L’administration a traité avec des tiers pour la fourniture des subsistances de l’armée, pour l’exécution de travaux publics ; les conditions de ces opérations ont été arrêtées de commun accord : elle est liée par ce contrat, qui devient sa loi ; dans les clauses même des marchés se trouve parfois un mélange d’arbitraire et de droit : elle aura stipulé par exemple qu’elle désignerait les carrières où s’approvisionnera l’entrepreneur d’une chaussée en pierres ; elle s’est alors réservé un pouvoir discrétionnaire qu’elle aurait perdu si l’entrepreneur fût demeuré maître du choix.

Le pouvoir de l’administration se trouve ainsi limité et défini : elle tient en quelque façon en ses mains deux sortes d’autorités, l’une discrétionnaire, l’autre réglée, l’une intelligente, l’autre passive, l’une libre et soumise dans son exercice à toutes les vicissitudes des temps et des lieux, l’autre contrainte et absolue comme la loi ou le contrat dont elle n’est que l’application littérale et forcée.


Tant que l’administration ne suscite aucune réclamation, il est indifférent que ses mesures appartiennent à son autorité discrétionnaire ou à ce que j’appelle son autorité réglée. L’une et l’autre sont exercées par elle au même titre, quoiqu’à des conditions différentes, et composent également son domaine légal. Elle accomplit indistinctement ses fonctions complexes et prend, s’il lui convient, les avis de ses conseils, spécialement du conseil d’état. Celui-ci lui fait connaître son opinion, quelle que soit la capacité dans laquelle elle agisse. Seulement il se renferme dans les termes des pouvoirs créés par la loi : quant aux actes discrétionnaires, il en examine le mérite, la justice, l’opportunité ; pour les autres, il se borne à rechercher le sens et la portée de la loi ou du contrat appliqués par l’administration ; pour tous, il donne son avis comme conseil et dans son rôle administratif.

Mais, au moment où des réclamations s’élèvent, il devient nécessaire de savoir à quel ordre d’autorité appartiennent les actes attaqués, et si l’on impute à l’administration d’avoir, dans l’exercice de son autorité discrétionnaire, blessé des intérêts, ou, par la violation d’une loi ou d’un contrat, porté atteinte à des droits. Dans le premier cas, les réclamations sont purement administratives ; elles appartiennent à ce qu’on désigne sous le titre de juridiction gracieuse, pour indiquer