Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/602

Cette page a été validée par deux contributeurs.
598
REVUE DES DEUX MONDES.

Après s’être humilié devant les hommes, le bon docteur demanda au repentir le pardon des fautes plus graves. Il s’accusa devant Dieu des égaremens où l’avait jeté l’amour. Il s’accusa d’avoir troublé un jeune cœur et trop justifié peut-être la jalousie d’Adélaïde. Tout entier désormais au salut de son ame, il acheva d’éteindre avec les larmes de la pénitence les cendres encore brûlantes d’une ardeur criminelle. Résolu d’en finir avec les vanités de ce monde, craignant d’ailleurs de laisser après soi des traces qui pourraient compromettre l’honneur et le repos de Louise, il se fit apporter près de son lit un réchaud embrasé : puis, ayant tiré de dessous son oreiller un paquet de lettres liées entre elles par un ruban rose, — c’étaient, pour la plupart, des invitations à dîner, assaisonnées coquettement de tendres bonjours et de caresses innocentes, — après les avoir baisées une dernière fois, après en avoir respiré le parfum, ce doux parfum, ce parfum enivrant qui s’exhale des lettres aimées, il les livra une à une aux flammes. Lutinées par les brises d’avril que laissait entrer la fenêtre ouverte, les feuilles consumées, après avoir voltigé dans la chambre, gagnèrent les plaines de l’air ; le vieillard les suivit long-temps d’un regard mélancolique ; il les vit flotter, s’élever, disparaître dans l’azur du ciel, où son ame, qu’à vrai dire elles emportaient tout entière, ne devait pas tarder à les suivre. Il brûla du même coup, à la même flamme, les fleurs qu’il avait rapportées, durant les jours heureux, du château de Riquemont : il ne voulut pas qu’aucun de ces chers souvenirs pût être profané après sa mort.

Bien qu’il sentît sa fin prochaine, il refusa de faire appeler son fils. Il ne souffrait pas, il s’éteignait. Des pensées austères occupèrent ses derniers jours. Les poètes profanes s’étaient vus exilés de son chevet ; il ne lisait plus que des livres pieux qui lui enseignaient à mourir. Il avait pardonné dans son cœur à Célestin, à lord Flamborough, à M. Riquemont, aux huissiers, à l’homœopathie et à tous ceux qui l’avaient abreuvé d’amertume. Détachée des passions de la terre, son ame était prête à comparaître devant le souverain juge.

Un soir de mai, comme le soleil, près de se coucher, inondait de lumière les prairies qu’arrose la Vienne, le bon docteur se fit porter dans un fauteuil près de sa fenêtre. Il voulait dire un dernier adieu à cette belle nature qu’il aimait. C’était une soirée enchantée. Les coteaux nageaient dans la vapeur enflammée du couchant. La rivière roulait des flots d’or que voilait sans les cacher un rideau de feuilles naissantes. L’air était chargé des senteurs embaumées de l’aubépine. La ville se taisait comme pour écouter les bruits de la campagne ; les