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LE DOCTEUR HERBEAU.

c’est mon triomphe le plus doux. J’en étais sûr, monsieur, j’étais sûr qu’avec les antiphlogistiques nous aurions raison de cette cruelle maladie. Chère enfant ! Et vous dites, jeune homme, qu’elle rayonne à présent de tous les dons de la santé et de la jeunesse ? Dieu soit béni d’abord, puis la science qui l’a sauvée !

— C’est à vous, monsieur, à vous seul, ajouta M. Savenay, que Mme Riquemont reporte sa reconnaissance ; c’est vous qu’elle remercie chaque jour, à toute heure…

— Elle parle de moi ?…

— Sans cesse. Pourrait-il en être autrement ? Hier soir encore, dans l’allée du parc, Mme Riquemont me confiait qu’elle n’attendait qu’un jour de soleil pour s’échapper à cheval et vous aller visiter à Saint-Léonard.

— Qu’elle s’en garde bien ! s’écria le docteur avec effroi, — car ç’avait été là sa crainte incessante, et même à cette heure qu’Adélaïde n’était plus, il redoutait pour Louise et pour lui-même les représailles de M. Riquemont. Dites-lui, monsieur, dites à cette enfant, reprit-il d’une voix plus calme, que je suis touché de son aimable souvenir, mais que son vieux ami en a désormais fini avec le monde, et qu’il s’est condamné à une solitude éternelle.

À ces mots, il salua M. Savenay, et s’en retourna tout fier et tout joyeux.

— Jeannette, s’écria-t-il en rentrant, on ne vous avait pas trompée, ma fille : il est bien vrai que Mme Riquemont est entièrement rétablie. C’est votre maître qui a fait ce miracle. Je veux vider ce soir un vieux flacon pour fêter la confirmation de cette heureuse nouvelle.

Jeannette, tout heureuse elle-même de voir son bon maître ainsi dispos, s’empressa de courir à la cave, et le docteur Herbeau demeura jusqu’à près de minuit attablé avec son poète de Tibur, traduisant dans son cœur Lydie par Louise, et dans son verre Falerne par Saint-Émilion.

Ce fut là son dernier bonheur, le dernier rayon qui dora le soir de sa vie. Un jour, il trouva Colette étendue sur sa litière. Il l’appela vainement : pour la première fois la noble bête ne répondit pas. Elle était morte de décrépitude. Une grosse larme tomba sur sa crinière : ce fut son oraison funèbre.

La mort de Colette fut pour Aristide d’un sinistre présage. Depuis long-temps il était souffrant et chétif ; bientôt il se prit à décliner visiblement. Il ne sortait plus de sa chambre. Son jardin était né-