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jeunesse elle-même se targuer de son impuissance et désespérer hautement de la jeunesse et de l’amour !

Il avait goût à la solitude, et, s’il en souffrait parfois, c’est qu’il lui eût été doux d’entendre de loin en loin le nom de son enfant bien-aimée. La santé de Louise l’inquiétait. Jeannette lui avait bien rapporté qu’on disait Mme Riquemont entièrement rétablie ; mais ces bruits qui venaient du dehors ne suffisaient pas à rassurer sa sollicitude. Un soir, quand les ombres de la nuit eurent enveloppé Saint-Léonard, le docteur sortit furtivement de sa maison, et, se glissant le long des murs, il gagna, par des rues détournées, le logis de M. Savenay. Il refusa d’entrer, et fit avertir le jeune docteur qu’il l’attendait à la porte. C’était par une soirée d’hiver ; M. Savenay causait au coin du feu avec sa vieille mère. Aussitôt prévenu, il se hâta d’accourir, et supplia M. Herbeau de venir prendre place au foyer. Le vieillard s’en défendit.

— N’insistez pas, dit-il tristement ; voici bien long-temps que je ne suis plus de ce monde, et que ma place est vide même au foyer de mes amis. Mais je n’ai pas voulu mourir sans entendre parler une fois encore de la jeune beauté que je vous confiai jadis. Jeune homme, dois-je croire ce qu’on m’a rapporté ? Est-il vrai que la science ait triomphé de la nature ? Est-il vrai que cette belle enfant ait recouvré la santé, et que je puis quitter la vie, rassuré sur cette chère tête ?

— Rien n’est plus vrai, monsieur, répondit Henri Savenay. Mme Riquemont brille à cette heure de tout l’éclat de la jeunesse.

— Béni soit Dieu et béni soyez-vous, jeune homme ! s’écria le vieux docteur en prenant avec attendrissement les mains de M. Savenay.

— C’est vous, monsieur, qu’il faut bénir, répliqua modestement le jeune homme, en serrant avec respect la main de son vénérable confrère. C’est à vous, à vous seul, après Dieu, que revient la gloire de cette guérison. Pour moi, monsieur, je n’ai d’autre mérite que d’avoir suivi religieusement le traitement que vous aviez commencé et que vous avez daigné m’indiquer. Je n’ai pas fait autre chose que recueillir le prix de vos soins.

— Ainsi, monsieur, c’est mon système qui l’a guérie ? s’écria le bon docteur, avec un sentiment d’orgueil bien permis et bien légitime.

— Oui, monsieur, répartit Savenay, et je dois dire comme Alexandre, en parlant du roi son père, que vous ne m’avez laissé rien à faire.

— C’est mon système ! répéta le docteur Herbeau, qui ne se sentait pas de joie. Ah ! jeune homme, c’est mon dernier triomphe,