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Aiguillonné par l’amour-propre, Célestin faillit répondre une impertinence ; mais il montra bien, par un silence respectueux, quelles victoires éclatantes il savait déjà remporter sur lui-même.

Cependant le docteur Herbeau offrait à ses concitoyens, qui ne paraissaient pas s’en soucier le moins du monde, le plus beau spectacle qui se puisse voir, celui d’un homme aux prises avec l’adversité et ne se laissant point abattre : grave, résigné, plus fort que le destin, plus grand que son malheur.

Il n’en fut pas de même d’Adélaïde. Son caractère, qui n’était déjà pas de miel rosat, acheva de s’aigrir ; son humeur jalouse, ne pouvant s’attaquer au présent, tant la conduite de son époux était d’un juste et d’un sage, se prit à remuer les cendres du passé, et trouva le moyen d’en faire jaillir de vives étincelles. Un jour, en fourrageant les tiroirs d’Aristide, elle découvrit le portrait de Louise avec la lettre d’envoi. Dès-lors le docteur Herbeau dut se résigner à se voir lacéré journellement par les vipères de la jalousie. Il n’opposa qu’un dédaigneux silence aux fureurs de sa vieille lionne ; mais la discorde veillait sous son toit et la tristesse dans son cœur. Sa femme l’avait pressé inutilement de reprendre le cours de ses visites ; il persista dans son abdication, préférant un noble repos aux soucis d’une agitation vaine. Il ne se plaignait pas. Parfois seulement, en se promenant dans son jardin, il s’écriait avec amertume : Ingrate, ô ingrate patrie ! Les arts, les lettres, la poésie latine, occupaient ses heures oisives. Il sortait rarement ; de temps à autre, il allait seul et rêveur sur les bords de la Vienne, mais jamais on ne le rencontrait dans le sentier qui mène de Saint-Léonard à Riquemont.

Malgré le coup de pied qu’elle avait donné dans l’échelle, il avait conservé pour Colette une tendresse véritable. Chaque matin il la visitait, lui adressait de douces paroles, et ne la quittait jamais sans avoir caressé son poil gris. Colette avait assisté à la dernière bataille de son maître ; il avait, lui aussi, son cheval blanc de Waterloo.

Le sort n’est pas toujours de fer. Le ciel, dans sa clémence, daigna ravir Adélaïde à la terre. Bien qu’elle l’eût abreuvé de fiel durant sa vie entière, le docteur Herbeau la pleura sincèrement. D’or ou de fer, de chanvre ou de soie, l’habitude est un lien qu’on ne rompt pas impunément. Aristide pleura sa femme après l’avoir à jamais perdue, comme le prisonnier de Chillon regretta son cachot après avoir recouvré la liberté. Il continua de vivre seul avec son cher Horace, qui lui, du moins, ne l’avait pas abandonné. Eheu ! Posthume, Posthume, s’écriait-il souvent, fugaces labuntur anni.