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DES AUTEURS ESPAGNOLS CONTEMPORAINS.

des nations, l’organe de leur ame, la flamme qui marque leur passage. Dès qu’il se détache des passions nationales, il n’est plus, suivant la belle expression de Dryden, « qu’une flamme peinte. » Il n’a plus d’originalité, il est sans pouvoir.

Cette originalité était surtout essentielle à la littérature espagnole, qui n’avait pas d’autre fonds que ces mœurs si grandement fanatiques. L’originalité du génie anglais n’en approche même pas ; cette dernière, toute commerciale, sympathique malgré son individualité, restant elle-même, mais ne méprisant aucune acquisition, a souffert des associations, sans abdiquer sa franchise, sa force, sa puissance teutonique, et s’est permis des alliances. Elle a profité de l’Italie, elle a emprunté des graces ou des essais de grace à la France. L’Espagne, au contraire, toutes les fois qu’elle a plié sous l’imitation, s’est perdue. La liberté et la spontanéité constituent sa vie. Dès qu’elle s’en éloigne, elle meurt.

Elle n’a pas, comme les littératures française, italienne, allemande, d’époque de renouvellement. Son histoire intellectuelle ne possède qu’une fleur magnifique et dont l’épanouissement splendide est suivi d’une rapide décadence ; ainsi fleurissent les cactus de ses roches brûlées. Toute romantique et chevaleresque, depuis les premières ballades que chantèrent les fils des héros castillans pendant la guerre chrétienne contre les Maures, elle conserve, jusqu’aux drames catholiques (autos sacramentales) de Calderon, le même génie et la même littérature. Tandis que la France était tour à tour italienne, espagnole, anglaise ; l’Angleterre, tour à tour italienne, française, allemande ; l’Espagne, du XIIIe siècle au XVIIe siècle, se développait dans une direction unique ; ses derniers chefs-d’œuvre, ceux de Calderon, sont dictés par la même inspiration qui anime le vieux poème du Cid. Envahie ensuite par le goût français, elle vit tomber si bas sa poésie, son drame et son éloquence, que, vers le milieu du XVIIIe siècle, elle prit en dégoût cette même imitation qui la perdait, et se retourna, non sans tristesse et sans désespoir, vers les langes de pourpre qui avaient fait l’orgueil de son berceau littéraire.

Alors, grace à la paix dont l’Espagne jouissait, l’industrie commençant à se relever, la marine se réorganisant, l’agriculture reprenant honneur, on vit cette impulsion rénovatrice s’étendre aux œuvres de l’esprit, et quelques intelligences solides, fortes ou patientes, honorer leur patrie par des travaux recommandables. C’est à cette génération reposée et fille du XVIIIe siècle qu’appartiennent les noms des historiens et publicistes Quintana, Toreno, Reinoso, Navarrete,