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LE DOCTEUR HERBEAU.

ché dans le lit de sa mère grand’. — Mon Dieu ! mon fils, que vous avez une grande barbe ! — Mon Dieu ! Célestin, que vous voici étrangement vêtu ! — Mon Dieu ! mon enfant, que vous êtes donc changé ! Célestin souriait dans sa barbe.

— Tout change, répondit-il ; si quelques siècles suffisent à renouveler la face du monde, doit-on s’étonner que quelques années aient pu changer la mienne ?

Puis il ajouta :

— Croyez, mes chers parens, que mon cœur est resté le même.

Et il pressa de rechef M. et Mme Herbeau dans ses bras.

— Cher fils, dit Adélaïde, qui ne revenait pas de sa stupéfaction, je croyais vous avoir prié de faire un peu de toilette à Limoges.

— Tudieu, ma tendre mère ! répliqua le jeune homme à son tour étonné, espériez-vous que j’arriverais déguisé en empereur romain ? Il me semble pourtant que je suis assez présentable, ajouta-t-il en passant ses pouces dans les entournures de son gilet.

Durant ce colloque, le docteur Herbeau examinait d’un air distrait les objets que son fils avait déposés sur le marbre de la cheminée. Il prit l’étui de bois et l’ouvrit, pensant y trouver quelque instrument de chirurgie ; mais il n’en tira qu’une horrible pipe culottée.

— Vous fumez, mon fils ! s’écria-t-il avec douleur.

— Quoi ! mon fils, vous fumez ! répéta la tendre mère consternée.

— Autre temps, autres mœurs, dit Célestin sans s’émouvoir. Mais, chère mère, peut-être serait-il convenable d’offrir quelques rafraîchissemens à lord Flamborough ? N’ayant rien bu depuis le dernier relai, nous viderions volontiers un petit verre de vieux rhum.

— Ah ! mon fils, s’écria Mme Herbeau en retenant ses pleurs, vous ne buviez autrefois que de l’eau sucrée.

À ces mots, s’étant retirée, non sans jeter un regard de défiance sur lord Flamborough, qui se tenait droit, immobile, et n’avait point encore laissé tomber une parole, Adélaïde se réfugia dans la cuisine, où le docteur Herbeau ne tarda pas à la rejoindre. Là, les deux époux se regardèrent l’un l’autre en silence sans oser se communiquer leurs pensées. Enfin les larmes de Mme Herbeau s’ouvrirent un passage, et le bon docteur y mêla les siennes. Jeannette soutenait qu’ils étaient dupes d’un intrigant, que ce n’était point là M. Célestin, et qu’on avait changé leur fils à l’École de Médecine. Ce fut, cette fois, Aristide qui releva la confiance de son épouse. À l’entendre, il n’était pas temps de se désespérer, on ne devait pas se hâter de juger Célestin sur les apparences. Certes, au premier coup d’œil, la forme