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LE DOCTEUR HERBEAU.

Herbeau, qui le représentait. Les uns prétendaient que les Herbeau étaient une dynastie usée, avec laquelle on devait une bonne fois en finir ; les autres, qu’il n’en était rien, et que les destinées du pays reposaient sur cette famille. Ainsi placées sur ce terrain brûlant, les discussions ne tardaient pas à prendre un caractère d’acharnement difficile à décrire. Chacun personnifiant dans le docteur Herbeau ses haines et ses sympathies politiques, on en arrivait bientôt à se traiter les uns les autres de tyrans et de sans-culottes, de jésuites et de buveurs de sang. Durant la semaine qui précéda l’arrivée de Célestin, on put voir chaque jour des groupes furieux parcourir en tous sens la ville. Comme autrefois à Florence, entre guelfes et gibelins, on s’insultait dans les rues de Saint-Léonard, sur la place et sur les boulevarts, et chaque soir les cafés, transformés en clubs, continuaient les discordes et les querelles de la journée.

Sourd au bruit qui se faisait autour de son nom, le docteur Herbeau vivait retiré dans sa maison et ne recevait que ses amis les plus chers. Vainement quelques fièvres et quelques érysipèles, courtisans du malheur, vinrent le solliciter. Il refusa leurs hommages et les pria d’attendre le retour de son fils. Il était triste et grave. Chose étrange ! ce noble et doux visage que les années avaient à peine sillonné du bout de leurs ailes, se flétrit en moins de quelques jours. Ses yeux s’éteignirent, ses joues se plissèrent, et son front se chargea de rides. Ainsi l’hiver succède brusquement à l’été de la Saint-Martin ; ainsi la nature, un instant rajeunie par les derniers baisers du soleil, s’affaisse en une nuit, se dépouille et s’endort. Toutefois, de même que l’hiver a ses floraisons mystérieuses, le bon Aristide cachait sous ses ennuis une pensée jeune et charmante. Louise habitait en lui comme une perle au fond d’une coupe amère.

Le lendemain de son abdication, il avait reçu par un messager du château une petite boîte qu’accompagnait une lettre ainsi conçue :


« Non, je ne vous accuserai jamais d’ingratitude ou d’indifférence. J’ignore les motifs qui vous ont pu décider ; mais il faut qu’en effet ils soient aussi impérieux que vous le dites, puisque, sachant ce qui se passe dans mon pauvre cœur, vous avez cru devoir m’abandonner et me retirer mon unique appui. Laissez-moi vous dire cependant que vous avez été cruel. Oui, vous avez été cruel pour l’enfant qui vous aime et que vous aimiez. Fallait-il me délaisser ainsi et ne pouviez-vous attendre un peu ? Il me semble que cela vous était facile. Et puis, pourquoi me quitter de la sorte ? Pourquoi ne vous ai-je