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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

Ainsi, de l’aveu d’un agent anglais, la Porte mystifiait l’ambassadeur français, en lui faisant accroire qu’elle n’avait que des intentions pacifiques, et que le pacha d’Égypte la mettait dans le cas d’armer pour sa propre sûreté ; mais à coup sûr elle n’avait pas mystifié l’ambassadeur britannique, qui voyait clair dans ses projets, et qui n’y apportait pas une bien vive opposition, comme le prouve la dépêche suivante :

« On déploie la plus grande activité pour envoyer des renforts à l’armée d’Hafiz-Pacha et pour que cette armée ne manque de rien. Je crois qu’Hafiz-Pacha continuera d’éviter les hostilités jusqu’au moment où la flotte ottomane, paraissant sur les côtes de la Syrie, aura donné aux partisans de la Porte le courage de se montrer ; on veut aussi attendre les résultats de la collision qui ne peut manquer d’éclater entre la flotte ottomane et la flotte égyptienne. » (Lord Ponsonby à lord Palmerston, 12 juin.)

Le sultan se proposait d’attaquer le pacha d’Égypte par terre et par mer ; la Porte l’avoue à lord Ponsonby[1], lord Ponsonby l’avoue à lord Palmerston, et l’on accuse ensuite le pacha d’avoir enfreint le statu quo !

Si quelque doute pouvait subsister après ces témoignages, les instructions données par la Porte au séraskier, et qui ont été trouvées au quartier-général de l’armée turque après la bataille de Nézib, prouveront aux plus incrédules que cette armée ne devait pas s’arrêter sur l’Euphrate, et qu’Ibrahim, en la dispersant, a prévenu un danger plus sérieux pour son père que la perte de la Syrie[2]. En voici les extraits les plus saillans ; c’est le sultan qui parle :

« Il n’y aura que la guerre qui me rendra maître de l’Égypte, et qui l’unira à l’empire des Osmanlis.

« L’armée doit être composée de 60,000 à 70,000 hommes, avec 120 pièces de canon.

« Partout où l’ennemi sera rencontré, il devra être battu par l’artillerie.

« Le généralissime marchera droit sur Alep, et de là à Damas, et ensuite à Acre, pour prendre possession de cette forteresse et ne pas perdre de temps pour s’emparer de toutes lesdites villes. Après la prise d’Acre, il faut laisser dans cette place un grand nombre de soldats et marcher en droite ligne sur

  1. « Le capitan-pacha dit qu’il a des ordres positifs de venir en contact avec la flotte égyptienne. » (M. Pisani à lord Ponsonby, Dardanelles, 20 juin.)
  2. « On ne sait pas et l’on ne croit pas que l’armée ait franchi la frontière ; mais on espère qu’elle en est assez près pour rendre l’attaque des Égyptiens inévitable, et le sultan le désire ardemment. » (Dépêche de l’amiral Roussin, 16 mai 1839.)