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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

aujourd’hui ses alliés douteux, se sont efforcés de ternir. Quelles qu’aient été les inspirations du gouvernement français, je ne puis pas admettre que notre honneur ait fait naufrage dans la question d’Orient en même temps que notre fortune. On a cherché à immoler un ministère, et dans ce ministère un homme à l’étranger ; j’entreprends de relever tous les cabinets, le 12 mai comme le 15 avril, et le 1er  mars comme le 12 mai, d’une imputation qui retomberait en définitive du gouvernement sur le pays. C’est là un soin pieux, et, dans tous les cas, exempt d’ambition. Si le traité de Londres a été, comme on l’a dit, le Waterloo de notre diplomatie, qui pourrait nous faire un crime d’aller relever sur le champ de bataille et d’enterrer honorablement nos morts ?

L’attitude que les cabinets européens ont gardée dans cette crise est sans précédens, et ne s’explique pas par les règles ordinaires du droit des gens. Si les puissances coalisées pour l’exécution du traité de Londres avaient dû entrer en campagne contre la France, il était naturel qu’elles fissent précéder les hostilités d’un manifeste destiné à exposer leurs griefs. On comprend les proclamations barbares du duc de Brunswick, en 1792, quand on voit l’armée prussienne porter bientôt après sur notre territoire le fer et le feu. En 1815, lorsque le congrès de Vienne mettait Napoléon au ban de l’Europe, il dirigeait en même temps contre lui les armées de la coalition. Mais les signataires du traité de Londres avaient au contraire la prétention de rester en paix avec la France, l’Angleterre en particulier professait les dispositions en apparence les plus cordiales, et c’est le moment que l’on a choisi pour soulever contre nous l’opinion du monde civilisé ! Les mêmes cabinets qui nous ont accusés de légèreté, de mauvaise foi, et qui nous ont prêté des vues ambitieuses, protestaient du désir sincère qu’ils avaient d’étendre à la France le concert européen ! Étrange et déloyale inconséquence ! car, si le gouvernement français avait donné à l’Europe de tels sujets de plainte, ce n’était pas contre le pacha d’Égypte qu’il fallait se liguer, et les flottes de l’alliance, au lieu de bombarder les côtes de la Syrie, devaient pointer leurs canons sur Toulon ou sur Brest.

Cette guerre de mots avait pourtant un but. On voulait tenir la France dans l’inaction, pendant que l’on exécuterait le pacha d’Égypte. De peur d’avoir nos flottes et nos armées à combattre, on nous constituait en état de prévention devant l’Europe. Les puissances qui allaient troubler violemment la paix et l’équilibre politique, nous réduisaient à la nécessité de nous défendre devant les peuples de la