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REVUE. — CHRONIQUE.

empruntait sans difficulté à moins de 4 pour 100 qu’on pourrait ainsi persuader qu’il est hors d’état de faire ce qui se fait en Prusse, en Hongrie, en Lombardie ? Sans doute moins seront lourdes les charges du budget, et plus il sera facile à l’état de se procurer, au moyen du crédit, les fonds nécessaires à de vastes entreprises. Mais encore une fois, dût-on conserver un effectif de 400,000 hommes, rien n’empêcherait d’entreprendre ces grands travaux. Les prêteurs s’effraient peu des quelques millions de plus portés au budget. Ils savent que la richesse nationale augmente chaque année, et que, par une conséquence nécessaire, les revenus de l’état doivent suivre une progression analogue. Ce sont les bruits de guerre qui les effraient, et souvent leurs craintes à cet égard sont poussées jusqu’au ridicule. Quoi qu’il en soit, ces craintes n’existent pas ; l’état, plus encore que les compagnies, trouverait par des emprunts les fonds nécessaires pour une dépense annuelle qui ne serait pas folle. Les capitalistes savent très bien que construire un chemin de fer utile, c’est créer un véritable capital. C’est plutôt un placement qu’une dépense, ou, pour mieux dire, c’est une dépense productive.

Au surplus, ces considérations n’ont pas pour but de prouver que l’état doit décidément se substituer en tout et pour tout aux compagnies, et entreprendre directement la construction des chemins de fer que la France réclame. Le système mixte est probablement le meilleur. Peut-être aussi convient-il d’appliquer des moyens divers aux diverses entreprises, selon les localités, selon le but qu’on se propose, d’après l’ensemble des circonstances.

Ce que nous tenions à établir, c’est que, dans tous les systèmes, même dans celui qui excluerait complètement les compagnies, l’état peut suffire aux besoins du pays, à moins toutefois que, par une pensée plus ambitieuse que prudente, on ne voulût entreprendre des travaux multipliés et gigantesques. C’est là, disons-le, notre crainte. Les intérêts des localités vont se trouver en présence dans le conseil des ministres et dans les chambres. La lutte sera vive, les efforts obstinés ; il est à craindre que les ministres ne veuillent tout concilier en accordant quelque chose à tout le monde, et que les chambres ne soient entraînées vers cet étrange moyen de conciliation. N’oublions pas les deux chemins de Paris à Versailles, ces quinze ou vingt millions inutilement dépensés sous l’influence d’idées aveugles et opiniâtres.

Tout entreprendre à la fois, c’est le sûr moyen de ne rien faire et surtout de ne rien terminer. En établissant une concurrence effrénée, les travaux seront plus chers, les matériaux seront mauvais, les entreprises se nuiront l’une à l’autre, et l’achèvement de tous les chemins entrepris en sera retardé. Il faut choisir dans le nombre des projets les deux ou trois chemins qui sont les plus utiles et les plus urgens, soit sous le rapport commercial, soit sous le rapport politique, et se borner d’abord à ce travail déjà fort considérable. L’état peut confier aux compagnies les chemins utiles au commerce, et se charger de ceux dont l’utilité serait avant tout politique. Mais, avant d’entrer dans la discussion des points particuliers, il convient d’attendre la publication des projets. Nous espérons que le gouvernement ne tardera pas à les