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graves qu’elles paraissent, ne suffisent peut-être pas pour apaiser l’opinion publique. Il y a là des questions qui ne sont pas encore bien éclaircies. Nos mœurs, nos idées, diffèrent à ce sujet des mœurs et des idées des Anglais. Ainsi qu’on l’a dit ; la question des incompatibilités se représentera avec beaucoup de vivacité devant les chambres, et on peut craindre que cette année la chambre des députés, en délibérant sur cette matière délicate, ne songe trop aux électeurs, trop peu à elle-même et aux exigences de la chose publique. La perspective des élections générales pourrait jeter les députés dans quelque résolution excessive : ils ne peuvent pas se dissimuler qu’un grand nombre d’électeurs sont disposés à révoquer en doute l’indépendance du député qui accepte des fonctions rétribuées. Or, sans vouloir affirmer que l’ordre de choses actuel ne doive être en rien modifié, nous n’hésitons pas à penser que des exclusions trop nombreuses et trop absolues, en élevant, pour ainsi dire, un mur de séparation entre l’administration et la chambre, entraveraient la marche régulière des affaires publiques, et prépareraient des tiraillemens funestes entre les pouvoirs de l’état.

Si des hautes régions du droit constitutionnel on veut descendre à la politique personnelle et du moment, on peut remarquer, au sujet de toutes ces nominations, qu’un grand nombre d’entre elles ont été coup sur coup adressées aux hommes les plus dévoués et les plus ardens du 15 avril. Ne dirait-on pas un rapprochement intime, un retour de tendresse, une fusion entre le 15 avril et le 29 octobre ? C’est une pure conjecture : nous serions d’ailleurs très loin de blâmer, nous qui avons toujours déploré et qui déplorons encore les schismes, tous les schismes de notre église gouvernementale.

Laissons les personnes et revenons aux choses. La question du désarmement occupe toujours les esprits, et on cherche maintenant à combiner avec elle la question des chemins de fer. On veut compliquer l’une par l’autre. Sur la première, nous persistons à croire que, dans l’état général des affaires, il importe de conserver la flotte, les cadres, le matériel, les armes savantes, mais qu’on peut, dans un pays comme la France, diminuer sans danger l’effectif de l’infanterie. L’Europe sait qu’avec des cadres et un matériel suffisant la France peut entrer rapidement en campagne et présenter à ses ennemis ces phalanges formidables qui lui ont valu de si nombreuses et de si brillantes victoires. À quoi bon épuiser nos finances et donner à nos adversaires le plaisir de nous voir jeter notre argent pour entretenir, en pleine paix, pendant des années peut-être, des fantassins qu’en cas d’alarme la conscription nous fournirait en peu de jours ?

Mais qu’on diminue ou qu’on conserve l’effectif de l’infanterie, nous ne concevons pas qu’on puisse subordonner à cette question la question des chemins de fer. Voudrait-on établir que, s’il convenait à la France d’entretenir une armée de 400,000 hommes, elle serait hors d’état de se donner ces puissans moyens de communication, et que, tandis que les Belges, les Allemands, les Autrichiens, volent sur les rail-ways, nous devrions nous résigner à nous traîner dans les vieilles ornières ? Est-ce à un pays qui hier encore