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REVUE DES DEUX MONDES.

C’est sous l’empire d’une nécessité semblable que nous nous débattons aujourd’hui. J’ignore si la majorité intermédiaire que je désire se constituera d’une manière assez forte pour gouverner longtemps le pays ; mais je sais que cette majorité est aujourd’hui notre seul moyen de salut. Que quelques échecs accidentels ne nous rebutent donc pas. Nous sommes en France prompts à concevoir et à entreprendre, plus prompts à nous décourager et à quitter la partie. Quand le succès ne suit pas immédiatement la tentative, nous déclarons volontiers la tentative chimérique et le succès impossible. C’est une déplorable disposition. L’idée la meilleure, la plus juste, peut rencontrer des obstacles qui l’empêchent long-temps de se réaliser. Elle se réalise pourtant à la fin, et récompense pleinement ceux qui n’ont pas désespéré. Telle est, dans l’état actuel des partis en France, l’idée de transaction. Quant à ceux qui verraient dans une telle combinaison quelque chose de peu moral et de peu sûr, ce n’est pas moi, c’est M. Guizot qui se chargera de leur répondre.

« Quand le rapprochement est sincère, écrivait il y a moins de trois ans l’honorable M. Guizot, quand on ne met en commun que ce qu’on a de sentimens, d’idées, d’intentions réellement semblables, je voudrais bien savoir qui aurait le droit, qui aurait l’audace de trouver là quelque chose à redire. Cela est non-seulement légitime, mais excellent. C’est l’un des meilleurs résultats de nos belles institutions, qui, en tenant sans cesse en présence les idées et les hommes, les amènent à se comprendre, à s’épurer, et tôt ou tard à transiger au sein de la raison et de l’intérêt public. Le régime représentatif est un régime de transaction et de conciliation continuelle. La liberté divise d’abord et rapproche ensuite. Qui ne serait frappé aujourd’hui de ce progrès des sentimens équitables, des idées modérées, qui tend à s’accomplir et à se manifester partout ? Et il ne serait pas permis de le faire passer dans la pratique des affaires ! Les camps politiques seraient des prisons où les hommes demeureraient éternellement renfermés, farouches, inabordables les uns pour les autres, comme au jour du plus vif combat. Une telle prétention, de tout temps fausse et nuisible, ne peut être de nos jours, après toutes nos révolutions, qu’un mensonge intéressé ou une absurdité palpable. »

J’ajoute seulement qu’après ce qui s’est passé depuis que M. Guizot écrivait cette belle page, l’absurdité serait plus palpable que jamais, et le mensonge plus audacieusement intéressé.


P. Duvergier de Hauranne.