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DES PARTIS EN FRANCE.

yeux, comme aux yeux du pays, justifier sa conduite. C’est ainsi qu’il y a six ans se forma en Angleterre, entre les whigs et les radicaux, la grande transaction qui, jusqu’aux dernières élections, a gouverné le pays.

Quant au silence considéré comme moyen de former ou de maintenir une majorité de transaction, je ne le crois ni digne, ni honorable, ni constitutionnel. À chaque question embarrassante, il est sans doute aisé de répondre qu’on ne dira rien, de peur de troubler l’union naissante du parti auquel on appartient. Il est aisé de mettre ainsi cette union sous la protection des réticences, et, lorsque la majorité s’y prête, d’escamoter un vote ou deux ; mais est-ce là le gouvernement représentatif, et le pays nous envoie-t-il à la chambre pour assister à un spectacle de ce genre ? Qu’eût-on dit en Angleterre si, lorsque lord John Russell était pressé sur le scrutin secret, il eût répondu : « Deux cents de mes amis sont pour le scrutin secret, et cent cinquante sont contre. Or, pour ne blesser ni les uns ni les autres, je refuse de dire mon opinion. » De quelques formes superbes que lord John Russell eût accompagné une telle déclaration, nul doute qu’elle n’eût été fort mal accueillie. Nous sommes plus indulgens en France.

Quand on a l’honneur d’être ministre et qu’on est soutenu par une majorité de transaction, il n’y a point deux conduites à suivre. On doit dire nettement ce que l’on pense, ce que l’on veut, et jusqu’où l’on entend aller. Chacun ensuite est maître de peser la déclaration ministérielle et de se décider en conséquence. C’est ce que pendant six années lord John Russell n’a jamais manqué de faire, même quand ses paroles pouvaient déplaire à une portion notable de ses amis. C’est ce qu’a fait également M. Thiers en 1840, au sujet de la réforme électorale. La gauche alors appuyait M. Thiers et demandait la réforme. M. Thiers, le jour où la question a surgi, s’est-il pourtant renfermé dans un silence prudent ? Pas le moins du monde. Obéissant à la loi du gouvernement représentatif, M. Thiers est monté à la tribune, et, au risque de mécontenter la gauche, a dit que le cabinet du 1er mars ne ferait pas la réforme. Quelques jours auparavant, au risque de mécontenter la droite, il promettait de s’occuper de la question des fonctionnaires députés. C’est ainsi qu’un ministre vraiment parlementaire comprend ses devoirs et s’honore aux yeux de ses amis et de ses ennemis.

Pour qu’une majorité de transaction puisse marcher le front levé et faire les affaires du pays, deux conditions préliminaires sont donc