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dans sa mesure, n’ait voulu mettre fin aux vieilles classifications et offrir à des opinions long-temps divisées un terrain honorable de réconciliation ; il n’est pas un seul parti qui, tout en trouvant la transaction très mauvaise et très ridicule quand on s’en servait contre lui, ne l’ait trouvée très bonne et très raisonnable quand il pouvait s’en servir contre ses adversaires. L’unique différence, c’est que les uns ont avoué leur pensée franchement, hautement, hardiment, tandis que les autres ont essayé de la pratiquer dans l’ombre et à petit bruit. Que conclure de là, si ce n’est que l’idée de transaction a pour elle ce qu’il y a de plus irrésistible au monde, le besoin général des esprits et la force des choses ? Rien de plus commode pour un parti que d’entrer au pouvoir tout d’une pièce, et que de s’y maintenir, quand il le peut, par ses propres forces ; rien de plus gênant au contraire que de prendre un pouvoir partagé, et que d’avoir chaque jour à rapprocher des opinions, à ménager des susceptibilités divergentes. Tout le monde pourtant se soumet à cette condition, non par goût, mais par nécessité.

En réalité, la question de savoir si, dans l’état actuel des partis, il doit y avoir ou non transaction, est résolue par le fait, aussi bien que par le raisonnement. Il reste à chercher comment et à quelles conditions la transaction doit s’opérer pour être sérieuse et durable.

Il est d’abord un point sur lequel il importe de s’expliquer. Dans la vie politique, les ressentimens privés et les ambitions personnelles jouent souvent un grand rôle, et contribuent plus que les questions politiques à déterminer telle ou telle séparation, telle ou telle alliance. Il peut donc arriver, il arrive que des esprits fort divisés et des opinions toutes contraires se trouvent momentanément réunis, non parce qu’ils veulent la même chose, mais parce qu’ils détestent la même personne. Il peut arriver, il arrive qu’il se forme ainsi des mariages monstrueux et condamnés d’avance à la stérilité. On conçoit que de telles associations puissent difficilement supporter la discussion publique, et que le silence, un silence obstiné et systématique, soit le seul moyen de les faire vivre.

Est-ce là pourtant ce qui constitue une vraie, une honorable transaction ? Pour qu’une vraie transaction existe, il faut, ce me semble, qu’il y ait entre les parties contractantes autre chose que des rancunes ou des ambitions à satisfaire ; il faut qu’à travers des opinions diverses d’ailleurs, il apparaisse un but à poursuivre, une pensée à réaliser ; il faut enfin que cette pensée ait assez d’importance, que ce but soit assez prochain, pour que chacun puisse à ses propres