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et qu’on ne saurait l’annuler sans mettre l’état en péril. Elle se souvient en outre qu’il y a cinquante ans une autre assemblée, en détruisant tout équilibre, a précipité le pays dans une longue suite d’épreuves et de malheurs. Il en résulte que, dans le conflit régulier qui de temps en temps s’établit entre les pouvoirs, elle est rarement prête à soutenir les droits et la juste influence du pouvoir auquel elle appartient. Loin de là, c’est vers un autre pouvoir, déjà fort de sa prérogative, qu’elle tend sans cesse à faire pencher la balance. C’est à ce pouvoir qu’elle consent jusqu’à un certain point à se subordonner. De là une facilité singulière à accepter les ministres qui lui sont donnés, pourvu qu’ils le soient librement. De là, au contraire, une disposition remarquable à repousser les ministres nés de la prérogative parlementaire, et qui ont été plutôt subis que choisis. De là enfin, lorsque, entre la couronne et ses conseillers responsables, quelque dissidence se manifeste, la résolution presque invariable de prendre parti pour la couronne contre ses conseillers.

Ce que je raconte comme fait, d’autres, je le sais, l’érigent en système ; et soutiennent que telle doit être nécessairement en France la conduite du parti conservateur. Et quand on leur cite l’exemple de l’Angleterre où le parti conservateur est si indépendant de la couronne, ils répondent que cela peut être convenable et bon dans un pays aristocratique, mais qu’au milieu de la démocratie française le parti conservateur ne peut se maintenir et se défendre que sous le patronage et par l’influence de la royauté. Je n’examine point en ce moment si cette opinion est fondée, et si, dans le cas où elle le serait, elle n’attaquerait pas à la racine le gouvernement représentatif et notre constitution. Quoi qu’il en soit, il est impossible de ne pas reconnaître qu’une telle disposition chez le parti conservateur en France est un fait des plus importans, et dont la politique doit tenir compte.

Voilà pour la droite. Quant à la gauche, on ne peut lui adresser le même reproche, et le pouvoir parlementaire est assuré de trouver toujours en elle une assistance persévérante et dévouée. La gauche aussi croit aux institutions libérales et les aime. Loin qu’elle cherche à les restreindre, à les affaiblir, c’est donc à les étendre et à les fortifier qu’elle consacre ses efforts. Mais la gauche, préoccupée des périls de la liberté, a-t-elle au même degré le sentiment des dangers que l’ordre peut courir ? Comprend-elle assez surtout quels sont, en présence de ces dangers, les devoirs du gouvernement et à quelles conditions le pouvoir peut s’exercer ? Il y a, pour qu’il n’en soit pas