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commune ? Je ne le pense pas. Dans la gauche constitutionnelle, il y a aujourd’hui une portion nombreuse qu’il serait difficile de distinguer du centre gauche autrement que par ses antécédens. Il y en a une autre que ses idées et ses tendances radicales rapprochent beaucoup de la gauche républicaine. Or, tant qu’il y a simplement des lois à rejeter, des abus à dénoncer, des dépenses à réduire, une politique, en un mot, à combattre et un ministère à renverser, ces deux portions de la gauche peuvent aisément marcher d’accord et ajourner ou cacher leurs dissentimens très réels. En serait-il de même le jour où il y aurait un ministère à soutenir et une politique à faire prévaloir, des impôts à voter, des fautes à pallier, des lois à adopter, même imparfaites et quelquefois impopulaires ? Il ne faut pas se le dissimuler, le rôle d’un parti ministériel est plus difficile et plus pénible que celui d’un parti d’opposition. Quand on est de l’opposition, on dispose à son gré du temps, des circonstances, des obstacles, et de plus on a l’avantage de juger des actes par leurs résultats, et de prophétiser après coup. Quand on est ministériel, il faut ne pas trop exiger, et souvent encore être déçu dans son attente. C’est une nécessité assez dure, et à laquelle tout le monde ne se plie pas également.

Il y a donc dans la gauche constitutionnelle des opinions et des dispositions différentes. Aussi s’en faut-il qu’elle soit d’accord tout entière sur le rôle qu’il lui convient de jouer dans la chambre et dans le pays. Si je ne me trompe, la majorité de la gauche, pénétrée des vraies idées parlementaires, désire qu’il lui soit permis d’appuyer honorablement un cabinet, et d’exercer ainsi, au prix même de quelques sacrifices, une action directe sur le pays ; mais il existe dans la gauche une minorité ennemie jurée de toute transaction, et qui, par goût autant que par opinion, veut à tout prix rester opposition. C’est seulement dans l’opposition, comme d’autres dans le pouvoir, qu’elle se sent vivre à l’aise, qu’elle se meut et respire librement.

Si ce tableau est exact, voici quel est l’état réel des partis dans la chambre. Quand on veut la regarder dans ses deux grandes divisions, dans celles qui, depuis les dernières élections, ont formé la majorité et la minorité, le parti ministériel et l’opposition, on n’y voit rien qu’un mélange confus, qu’un va-et-vient perpétuel d’hommes et d’opinions. Quand on l’examine dans ses fractions principales, dans celles auxquelles l’opinion publique donne un nom, on y trouve tous les symptômes, tous les signes, d’une décomposition déjà avancée et d’une mort prochaine. Une majorité homogène est donc impossible,