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guerre compromettrait en un instant tout le résultat de ses heureuses tentatives et de ses spéculations. Une guerre exposerait à l’envahissement d’une puissance étrangère ses précieuses colonies, et la rejetterait, faible et sans ressources, sous le poids de ses lourds impôts et de sa dette énorme. Il lui en a assez coûté de rester pendant dix ans dans un état d’hostilité envers la Belgique, d’entretenir une armée nombreuse pour satisfaire au vain espoir de son roi. Que serait-ce si elle se trouvait engagée dans une guerre contre la France ou contre l’Angleterre, qui déjà l’a harcelée sur toutes les mers, qui a gouverné Java pendant quatre ans, et qui envie aujourd’hui cette florissante colonie, comme elle envie tout ce que les autres peuples acquièrent par leur courage ou leur industrie

Dans le cas où une rupture violente éclaterait entre quelques-unes des nations de l’Europe, la Hollande ne doit prendre parti ni pour l’une ni pour l’autre. Sa situation matérielle, ses espérances d’avenir l’obligent à rester neutre, et c’était là l’attitude qu’elle était résolue de prendre, l’année dernière, quand un cri de guerre parti des bords de la Seine, retentit jusqu’aux rives du Nil. « Nous ne pouvons avoir, me disait alors un de ses principaux publicistes, qu’une politique commerciale. Notre ministre des finances devrait être en même temps notre ministre des affaires étrangères ; ce qu’il y aurait de mieux, ce serait d’abdiquer une fois pour toutes nos prétentions de petit royaume, de ne pas nous mêler aux questions politiques et de former purement et simplement une honnête nation marchande. »

Au XVIIe siècle, un tel langage aurait sans doute révolté la puissante république qui prenait une si grande part au mouvement général de l’Europe ; mais les temps d’héroïsme, de chevalerie, s’en vont. L’amour du bien-être matériel l’emporte, dans le cœur des nations comme dans le cœur des individus, sur les généreux élans auxquels on s’abandonnait autrefois. Du haut de son char la fortune régit la pensée, l’industrie fascine les regards. En vain quelques poètes, fidèles au culte du passé, essaient de faire revivre, par leur parole enthousiaste, les nobles traditions qu’ils vénèrent ; le monde marche à la conquête de la toison d’or, et n’accepte plus les chants sacrés, les chants d’amour et de gloire qui ébranlaient l’ame de nos pères, que comme un son harmonieux pour le distraire dans le cours de sa morne pérégrination.


X. Marmier.