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LA HOLLANDE.

gieux, honnis et maltraités, ils bravent tout pour échapper à la misère affreuse dont ils seraient victimes dans leur pays. La population les méprise et cependant a besoin d’eux. Ingénieux et actifs, ils se jettent dans toutes les entreprises, ils sont prêts à faire tous les métiers ; aujourd’hui matelots, demain laboureurs, un autre jour ils entreront comme ouvriers dans une raffinerie de sucre, ou prêteront de l’argent à gros intérêts. Peu leur importe de quelle manière ils emploient leurs bras, leur habileté, leur temps, pourvu qu’à la fin de leur labeur ils trouvent quelque bénéfice ; et comme à toute leur patience et leur adresse ils joignent un grand esprit d’ordre et d’économie, il est rare qu’au bout d’un certain nombre d’années ils n’aient pas amassé une fortune assez convenable. Ce sont les juifs de ce pays lointain ; ils en ont les qualités, les vices, la destinée. Repoussés et méprisés par les Européens et les Javanais, un beau jour, en mesurant leur valeur industrielle et financière, ils en viennent à rire à leur tour de celui qui les traite avec arrogance. Pendant la dernière guerre de la Hollande avec les princes de Java, le gouverneur, ayant besoin d’une somme considérable, la demanda en vain aux négocians de sa nation. Nul d’entre eux n’était en état de la lui fournir ; ce fut un Chinois qui la lui prêta.

Les employés du gouvernement, les officiers sont tous Hollandais. Beaucoup de négocians, d’artisans hollandais, vont ainsi chaque année s’établir dans la colonie. Le climat de ce pays si beau, si riche, est cependant fatal aux Européens, et la plupart de ceux qui tentent de séjourner au milieu de ces plaines si riantes et si parfumées courent grand risque de n’en jamais revenir. Un fonctionnaire de Java me disait, il y a quelques mois : « En 1816, je partis du Texel pour Batavia avec trois cents de mes compatriotes appelés à exercer là-bas diverses fonctions. L’année dernière, je voulus compter ce qui restait de cette colonie d’émigrans qui, au jour du départ, étaient tous jeunes et robustes. Nous n’étions plus que quatre. » Mais le désir de s’enrichir l’emporte sur les idées de danger. Les fonctionnaires sont assez bien payés pour pouvoir, sans trop de parcimonie, amasser peu à peu un capital respectable ; les négocians ont à chaque instant l’occasion de faire quelque spéculation avantageuse. Après dix ou quinze ans d’essais et de travail, ceux qui ont eu le bonheur d’échapper à l’influence meurtrière du climat reviennent dans leur pays, achètent une maison de campagne en tête de laquelle ils placent une inscription idyllique, vivent paisiblement de leurs revenus, et élèvent leurs enfans dans l’amour de la Hollande et de l’île de Java.