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LE PARATONNERRE.

temps de pénitence. Je me soumis donc à ma destinée, et me levai péniblement en détirant l’un après l’autre mes membres endoloris.

— Partons, puisque vous le voulez, dis-je avec un sourire forcé ; mais à quoi bon nous charger de notre bagage ? Ne repasserons-nous pas par ici ?

— Laissez votre sac si bon vous semble, répondit M. Baretty ; je garde le mien. Je marche mieux quand j’ai quelque chose sur le dos.

L’assertion me parut absurde, et en toute autre circonstance je ne l’aurais pas laissée passer ; mais la contradiction exige une certaine énergie physique dont je me sentais complètement dépourvu. Je n’avais pas trop de toute ma vigueur pour supporter la fatigue, et en dépenser en controverse la moindre parcelle eût été une dissipation imprudente.

Arrivés au bord du glacier, nous nous arrêtâmes un instant. De l’endroit où nous étions, on saisissait à merveille l’ensemble de ce curieux et magnifique tableau. Je n’avais d’autre désir que de m’étendre sur l’herbe et de m’abandonner à la contemplation, seul plaisir qui convienne à la lassitude du corps comme à celle de l’esprit ; mais autrement en avait décidé mon compagnon.

— Descendons sur le glacier, dit-il tout à coup en joignant aussitôt l’effet à la parole.

Je le suivis en silence, et bientôt nous eûmes dépassé la lisière où s’arrêtent la plupart des touristes. M. Baretty marchait sur la glace comme si c’eût été une grande route ; de mon côté, je faisais bonne contenance, quoique de temps en temps quelques crevasses missent ma fermeté à l’épreuve. Malgré son embonpoint, le capitaine, ainsi que je l’ai fait observer, était leste et ingambe ; à cinquante ans il était resté un digne voltigeur. C’était un amusement pour moi que de le voir, armé de son bâton ferré, s’élançant résolument par-dessus des fentes béantes, que j’avais ensuite un peu moins de plaisir à franchir moi-même. Nous cheminâmes assez long-temps de la sorte à travers cent abîmes, dont quelques-uns, rien qu’à y plonger le regard en passant, me donnaient un commencement de vertige. Au milieu de ce chaos, mon imagination s’exaltait. Nonobstant l’apparence fort vivante et très peu poétique du gros homme qui marchait devant moi, je me comparai à Dante suivant Virgile dans le neuvième cercle de l’enfer, où les traîtres sont plongés dans la glace. Cette belle rêverie fut brusquement interrompue par un faux pas qui faillit m’envoyer au fond d’un gouffre près duquel le puits de Grenelle eût paru un trou fort mesquin. Je sentis mon