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LA HOLLANDE.

lions de florins, et, en 1693, à 48,319,507 florins, c’est-à-dire près de 100 millions de francs. À partir de cette époque, elle commença à déchoir, et ce qui semblait devoir assurer plus que jamais sa grandeur fut la première cause de son désastre[1].

En 1672, la compagnie avait soutenu l’empereur de Mattaram dans une guerre où il était engagé avec plusieurs de ses voisins. Ce prince, pour la récompenser de ses sacrifices et de l’appui qu’elle lui avait prêté, lui abandonna la partie occidentale de l’île de Java jusqu’au fleuve Pamanukan. Plus tard, en lui demandant de nouveaux secours, il lui céda les ports et les provinces de la côte septentrionale de l’île. Il mourut en 1749, et, par son testament, lui légua toutes ses possessions. C’est ainsi que la Hollande est devenue maîtresse de Java.

Dès l’année 1672, la compagnie hollandaise se présente aux yeux de l’observateur sous une double face. Ce n’est plus cette simple société de commerce qui emploie tout son temps et toute son habileté à fréter des navires, à échanger et à vendre ses marchandises aux conditions les plus favorables. C’est une puissance administrative et militaire qui a un pays à régir, des sujets à gouverner, des troupes à solder, qui fait la loi à des princes et commande à des millions d’hommes. Dans cette nouvelle situation, elle eut le bon esprit de respecter l’autorité héréditaire des familles souveraines du pays. La nature du Javanais est douce, résignée, passive. Le despotisme oriental, l’ardeur du climat, l’ont réduit à cet état de soumission servile et timide. Une rigueur extrême peut seule le faire sortir de son apathie et le jeter dans le désespoir. Il a pour ses princes et pour leur famille un dévouement profond, une sorte d’affection idolâtre. Il leur livre sans murmurer le fruit de son travail, il se courbe sans regret sous leur joug. Si la tâche qui lui est imposée devient trop rude, si les sacrifices qu’on lui demande le réduisent à la misère, il ne se révolte pas, il dit adieu au sol qui ne peut plus le nourrir, au foyer où une loi cruelle le poursuit : il émigre. C’est là le seul acte de protestation qu’il ose faire contre la tyrannie de ceux que ses pères lui ont appris à vénérer. Avec ces habitudes de résignation, il accepte l’autorité étrangère, pourvu qu’elle ne pèse que sur lui et n’atteigne pas la famille de ses princes. Il respecte ceux qui respectent ses souverains. Si on les offense, tout ce qu’il y a en lui d’énergie secrète, de force morale, s’éveille à l’instant même. À la voix de ses chefs, il

  1. Voyez l’ouvrage intitulé : Uber die vergangene und gegenwaertige Lage der Insel Java, von Ed. Selberg.