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la Meuse jusqu’aux rives septentrionales de la Frise, tout le pays, naguère asservi à une domination étrangère, proclamait avec une mâle fierté son indépendance, et s’organisait en république. Après cette longue lutte mêlée de tant d’incidens dramatiques et d’épisodes glorieux, après cette victoire si chèrement achetée par le sang qui coula sur la place de Bruxelles, par les souffrances du siége de Leyde, par les cruautés espagnoles qui atteignirent les plus nobles têtes, la république naissante était menacée d’un grand péril. Elle ne pouvait subsister que par le commerce, et Philippe II lui interdisait toutes les routes qu’elle avait sillonnées jusqu’à cette époque avec tant d’ardeur. Victorieuse dans ses frontières, elle trouvait au dehors une flotte puissante qui l’arrêtait dans ses excursions. Elle avait eu par le Portugal le bénéfice du commerce de l’Inde ; le Portugal venait d’être réuni à l’Espagne, et nul navire hollandais ne pouvait pénétrer dans le Tage. Nous avons dit[1] comment les états-généraux essayèrent de surmonter cet obstacle en cherchant au nord un passage pour arriver dans l’Inde, et comment échouèrent ces courageuses tentatives. L’inutile navigation de Heemskerke et de Barentz ayant enlevé aux pilotes des Pays-Bas l’espoir de trouver l’issue septentrionale qu’ils avaient rêvée, il fallut aviser à un autre moyen de reconquérir le commerce des denrées du sud. Un hasard révéla tout à coup à la république inquiète ce que ses géographes eussent peut-être long-temps encore et vainement cherché. Un négociant hollandais, nommé Cornelius Houtmann, fut arrêté à Lisbonne, et condamné comme agent d’un pays ennemi à une amende considérable. C’était un homme intelligent et hardi. Il profita du temps qu’il passa en prison pour s’enquérir auprès des Portugais de la route qui conduisait aux Indes, et de la manière dont on y faisait le commerce. Puis, quand il se crut suffisamment instruit, il fit secrètement prévenir quelques armateurs d’Amsterdam que, s’ils voulaient payer son amende et le faire élargir, il retournerait auprès d’eux muni d’importantes instructions. Si vague que fût sa promesse, les hommes auxquels il s’adressa n’hésitèrent pas à lui envoyer l’argent dont il avait besoin, dans l’espoir d’obtenir de lui d’utiles renseignemens. De retour en Hollande, Houtmann raconta ce qu’il avait appris, et inspira tant de confiance à ses libérateurs, qu’ils équipèrent pour les Indes quatre navires.

Le 2 avril 1595, la petite flotte mit à la voile. Houtmann en avait

  1. Voyez La Revue du1er août 1841.