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LE PARATONNERRE.

— Voilà un quart d’heure que je vous attends, me cria-t-il d’un ton d’impatience.

Je m’élançai brusquement dans la voiture, et presqu’au même instant les chevaux partirent au grand trot.

— Il est certain que je joue un assez triste rôle, me dis-je alors en songeant à l’étrange exclamation de Mme Richomme ; mais qu’en peut-elle savoir ? Évidemment nous ne nous comprenons pas. Je pense à une chose ; elle fait allusion à une autre. Il y a là-dessous une énigme dont je saurai le mot à mon retour.

Pendant cette première journée, nous suivîmes exactement l’itinéraire tracé par mon compagnon. Après avoir traversé le lac de Thun et mal dîné à Unterseen, nous remontâmes à cheval l’étroite vallée de Lauterbrunen. À huit heures du soir, assis devant l’auberge, ainsi que quelques autres voyageurs, nous fumions d’excellens cigares au clair de lune, en face de la cascade du Staubach. Fatigué peut-être des efforts d’amabilité qu’il avait faits dans la matinée, M. Baretty était devenu fort taciturne, et je m’accommodais de ce silence qui me laissait la liberté de rêver. Nous nous retirâmes de bonne heure, car nous devions partir dès le point du jour pour le but de notre pèlerinage. Ma mauvaise humeur ne fit aucun tort à mon sommeil. Je dormais encore, et le soleil commençait à peine à pomper l’épais brouillard répandu dans la vallée, lorsque l’impitoyable capitaine vint frapper rudement à la porte de ma chambre.

— Debout et en route ! me cria-t-il du même ton que s’il eût commandé sa compagnie de voltigeurs.

Je me jetai à bas du lit, et, m’étant habillé en bâillant, je rejoignis mon compagnon. Il m’attendait devant la porte de l’auberge, un cigare à la bouche, un sac de voyage sur le dos, et à la main un long bâton ferré d’un bout, et terminé de l’autre par une corne de chamois.

— Où sont les chevaux ? lui demandai-je, surpris de le voir équipé de la sorte.

— Les chevaux ! répliqua-t-il en ricanant, supprimés pour le quart d’heure. Il faut de la variété en voyage ; hier nous sommes allés en voiture, en bateau et à cheval, aujourd’hui nous irons à pied.

Je regardai d’un œil mélancolique les parois presque verticales de l’immense entonnoir au fond duquel nous nous trouvions, et, en songeant que j’étais condamné à les gravir pédestrement, j’éprouvai aux jambes une lassitude anticipée.

— Il me semble, me hasardai-je à dire, que nous allons nous éreinter inutilement, tandis qu’en prenant des chevaux…