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LE DOCTEUR HERBEAU.

— À la bonne heure donc ! s’écria le châtelain ; mais, mille diables ! ce n’aura pas été sans peine.

Là-dessus, il s’en retourna joyeux et triomphant, et certes il pouvait être fier de la façon dont il avait mené cette aventure. Grâce à sa perspicacité, grâce à son active intelligence, il avait, en moins de vingt-quatre heures, accompli toute une révolution. Il s’était vengé sans éclat et sans bruit, au-delà de ses espérances. Il avait, en moins d’un jour, ruiné un odieux rival dans ses prétentions et dans sa fortune, et, du même coup, installé dans sa maison un médecin qu’il aimait et auquel il voulait du bien.

De retour au château, il se laissa tomber lourdement dans un fauteuil, en poussant des exclamations lamentables.

— Qu’est-ce donc ? demanda Louise avec inquiétude.

Mais M. Riquemont se tordait, se roulait, se frappait le front et ne répondait pas.

— Louison, s’écria-t-il enfin, tu vois ton époux au désespoir. J’en ferai une maladie. Tout ce que j’ai pu dire a été inutile. J’ai prié, supplié : absolument comme si j’avais chanté ! Le docteur Herbeau est inflexible, une barre de fer ! Il a de la médecine par-dessus la tête, et ne veut plus entendre parler de malades. Au reste, il est bon que tu saches que je ne suis pour rien dans sa détermination. Il a coupé court à mes excuses, en m’assurant que je l’avais hier beaucoup diverti. Il dit qu’il est dégoûté de son métier, et qu’il a besoin de repos. Cela se conçoit. Colette a le trot dur, et, si tu l’avais eue pendant vingt-cinq ans entre les jambes, tu serais de l’avis du papa Herbeau ; tu éprouverais un vif désir de t’étendre dans ta bergère et d’y passer le reste de tes jours. Il faut que ce brave homme se repose. Voici long-temps qu’il tire à sa fin. J’ai voulu te l’amener ; mais il prétend avoir pour jamais renoncé au monde. Il te présente ses civilités. Nous nous sommes embrassés en nous quittant. Je pleurais, moi ; oui, j’en conviens, je pleurais comme une vieille bête. On a beau être fort, la nature ne perd jamais ses droits. Sur le pas de sa porte, je lui ai demandé ce que nous lui devions pour deux années de visites et de soins ; mais là-dessus le docteur Herbeau n’a rien voulu écouter, et, voyant que j’insistais, il m’a fermé la porte au nez. Il peut être sûr, par exemple, de recevoir le premier lièvre qui se trouvera au bout de mon fusil, et, si je puis y joindre quelques cailles et quelques perdreaux, je te jure, Louison, que je le ferai de grand cœur. Un bienfait n’est jamais perdu.

— Mais que vais-je devenir, moi ! s’écria Louise avec épouvante.