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tiste, qu’on me selle un cheval ! Rassure-toi, Louison ; la résolution du docteur Herbeau ne tiendra pas contre mes prières. Je m’engage à te le ramener aujourd’hui même ; sois tranquille, je te le rendrai. Mais, ventrebleu ! il fallait donc me dire qu’il était susceptible à ce point ! Pouvais-je m’en douter, moi ? Je riais, je plaisantais, je folâtrais. Tu verras qu’il se sera piqué de ce que j’ai dit hier soir à propos de sa perruque. Tu conviendras aussi que c’est être par trop difficile à vivre.

— Allez, dit Louise en pleurant, vous avez été abominable. Quand je songe à la façon dont vous avez reconnu l’affection et les soins que m’a prodigués cet excellent homme, j’ai honte, et je rougis pour vous et pour moi-même. Mon pauvre vieil ami, toujours si bon, si tendre, si dévoué, un esprit si charmant, un caractère si doux, une humeur si facile ! Je n’avais que lui, vous me l’avez ôté.

— Je répète que je te le rendrai. Baptiste, mes éperons, ma cravache ! Je lui croyais un meilleur caractère. Je te promets, puisqu’il en est ainsi, de m’observer à l’avenir. Je prétends désormais faire assaut avec lui de politesse et de belles manières. On est campagnard, mais au besoin on sait son monde.

Ce disant, il avait, pour ajuster ses éperons, appuyé tour à tour ses pieds malhonnêtes sur le bras du fauteuil où sa femme était assise. Cette opération achevée, il s’élança, la cravache au poing, et partit au galop pour ne s’arrêter qu’à la porte de M. Savenay.

— Eh bien ! jeune homme, vous savez la nouvelle, s’écria-t-il en se frottant les mains. Le docteur Herbeau se retire des affaires. Il donne sa démission et se fait justice lui-même. Riquemont ne pouvait vous échapper.

— En effet, monsieur, dit le jeune docteur, je viens d’apprendre par M. Herbeau lui-même la nouvelle que vous m’apportez. C’est une grande perte pour la science et pour le pays.

— Allons donc ! allons donc ! s’écria M. Riquemont en faisant siffler sa cravache. Quoi qu’il en soit, la clientèle du château vous revient de droit ; et, à moins que vous ne désiriez la mort de ma femme, vous ne sauriez lui refuser vos soins. Il s’agit de savoir, jeune homme, si vous voulez la mort de Louison.

— Je connais mes devoirs et saurai les remplir, répondit gravement M. Savenay.

— Ce qui veut dire ?…

— Que je m’efforcerai, monsieur, de remplacer le docteur Herbeau auprès de Mme Riquemont.