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nement la succession de votre père. Vous saurez défendre vos droits. Que ce titre de docteur de la faculté de Paris ne vous intimide pas ! Rappelez-vous, mon fils, que l’académie de médecine de Montpellier est illustre entre toutes, et que ses titres de noblesse sont les premiers inscrits sur le livre d’or de la science. Vous ne démentirez pas la renommée de cette glorieuse école ; vous ajouterez un rayon de plus à cet astre resplendissant. Vous êtes bien jeune encore pour la tâche que je vous destine, mais j’ose croire que vous la remplirez avec honneur. Vous serez l’orgueil et la joie de notre vieillesse. Revenez avec confiance, et que la prévision des luttes que vous aurez à soutenir ne trouble point la sérénité de votre ame. Soyez fort. Je vous ai vu partir enfant, que je retrouve en vous un homme, l’homme à la fois élégant et sérieux que vos lettres m’ont permis d’entrevoir. Unissant, par un rare privilége, aux graces de la jeunesse l’expérience de l’âge mûr, vous marcherez d’un pas sûr et ferme dans la voie qui vous est ouverte. Depuis quelques années, mon cher fils, il s’accomplit autour de nous un mouvement fatal, qui, s’il n’est comprimé, conduira nécessairement la France à sa perte. Vous vous garderez du danger des idées révolutionnaires ; la gloire de tracer un sillon parallèle à celui qu’a tracé votre père suffira, sans doute, à vos honnêtes ambitions. En politique, fidèle à vos princes ; inaccessible, en littérature, aux doctrines insensées que le goût et la raison réprouvent ; soumis, en médecine, à la tradition des grands maîtres, vous pratiquerez en toutes choses le culte et la religion du passé. Vous aurez toujours présent à l’esprit cet axiome qui résume à lui seul ma vie tout entière : Meliùs est sistere gradum quam progredi per tenebras.

« Nous vous attendrons jeudi prochain, par la voiture de Limoges. Ce sera pour votre mère et pour moi, mon cher fils, un bien heureux jour, un jour trois fois béni. Nos cœurs sont altérés de votre présence. Vous trouverez ci-incluse une traite qui vous permettra de subvenir aux exigences du départ. Désirant réunir quelques amis pour fêter le jour de votre arrivée, votre mère vous conseille de vous reposer à Limoges et d’y faire un peu de toilette.

« Priez lord Flamborough d’agréer nos hommages, et croyez, notre cher enfant, à l’impatience que nous avons de vous presser tendrement dans nos bras.

« A. Herbeau. »


Le docteur fit jeter par Jeannette cette lettre à la poste. Celle qu’il avait écrite à Louise fut confiée au garde champêtre de Riquemont,