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n’aurai point failli à mes concitoyens ; durant les vingt-cinq ans qui viennent de s’écouler, personne en ce pays n’est mort ou n’a vécu sans mon assistance. Mais puisque je peux désormais, sans trahir la cause de l’humanité, me décharger sur vous et sur mon fils du pesant fardeau qui m’accable, je rentre dès à présent dans le repos et vous laisse à tous deux le soin de vous partager mes labeurs.

— J’espère, monsieur, se hâta de répondre M. Savenay, que vous ne persisterez pas dans cette résolution. Vous êtes dans la force de l’âge ; le pays ne saurait se passer de vos soins, de vos talens, de votre expérience.

— Le pays, monsieur, répliqua tristement le docteur Herbeau, s’inquiète peu de ses vieux serviteurs. Depuis Athènes jusqu’à Saint-Léonard, toujours et partout le peuple est le même, oublieux, inconstant, ingrat. Mon parti est pris irrévocablement. Dans peu de jours, mon fils Célestin m’aura succédé. Je souhaite que vous viviez fraternellement, sans haine et sans rivalité : Célestin est doux, timide, point avantageux ; il vous plaira.

— Croyez, monsieur, dit le jeune homme, que je serai heureux de me lier d’amitié avec monsieur votre fils, et que je ne négligerai rien pour me rendre digne de sa bienveillance.

— Cela vous sera bien facile. Vous le verrez, c’est un agneau. Mais souffrez, monsieur, que j’arrive au véritable but de ma visite.

M. Savenay redoubla d’attention. Après quelques instans de recueillement :

— Hier encore, reprit le docteur Herbeau d’une voix émue, j’avais dans ma clientèle une personne qui me sera éternellement chère. Cette personne, vous la connaissez ; je veux parler de Mme Riquemont. C’est un ange. Pour des motifs que je dois taire, je désire que Célestin n’entretienne avec le château aucun genre de relations. Mon fils est d’ailleurs, ainsi que je vous le disais tout à l’heure, une nature timide, délicate, ombrageuse ; M. Riquemont l’effaroucherait infailliblement. C’est donc à vous, monsieur, qu’il appartient d’achever l’œuvre de guérison que j’ai commencée voici deux années. C’est entre vos mains que je dépose cet inestimable trésor. Je vous le confie. Jeune homme, j’appelle sur cette jeune tête votre sollicitude la plus constante et la plus assidue. Veillez sur elle sans cesse, à toute heure ; nulle créature ici-bas n’est plus digne de vos soins et de vos hommages.

— J’accepte avec orgueil et reconnaissance la tâche que vous voulez