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perruque vous sied à ravir. Dans quelque vingt ans d’ici, je vous demanderai l’adresse de votre coiffeur.

Et, parlant de la sorte, il passait complaisamment sa main dans son épaisse et brune crinière.

— Pas vrai, Louison, que la perruque sied bien à papa Herbeau ?

— Mon ami, dit Louise, ces plaisanteries sont pour le moins de mauvais goût et n’ont pas même, dans votre bouche, le mérite de la nouveauté. Vous n’avez déjà que trop abusé de la patience de M. Herbeau, de son indulgence et de sa bonté.

— Je ne plaisante pas, mille diables ! et je vous le dis sérieusement, docteur : voici une trentaine d’années, je ne vous aurais pas confié volontiers ma femme.

Le docteur une fois encore essaya d’un pâle sourire.

— Dans votre temps, monsieur, reprit le féroce animal, vous avez dû avoir bien du succès auprès du beau sexe. Vous étiez un gaillard ; je suis sûr que vous avez fait avaler à la maman Herbeau moins d’anguilles que de couleuvres. On se souvient de vos prouesses à Saint-Léonard. Vous étiez la terreur des époux. Mais vous ne mangez pas, monsieur ? Mais, papa, vous ne buvez pas ? Vous êtes blanc comme un âne de moulin, et vous tremblez comme un moineau qui sèche ses plumes au soleil.

Louise, qui souffrait visiblement de la grossièreté de son mari et de la position d’Aristide, se leva de table avant le dessert et se retira dans sa chambre, non sans avoir jeté à son cher et pauvre docteur un regard de tendresse compatissante.

— On étouffe ici ! s’écria le docteur Herbeau. Baptiste, mon ami, ouvrez, je vous prie, la fenêtre.

Baptiste regarda le docteur d’un air ébahi. Depuis le commencement du repas, la fenêtre était toute grande ouverte.

Le repas achevé, M. Riquemont se leva, et, présentant au docteur Herbeau son chapeau et son jonc à pomme d’or :

— Si vous voulez bien, monsieur, nous irons respirer l’air du soir dans l’allée du parc. La soirée est belle, et l’exercice nous fera du bien.

Pour le coup, le docteur ne douta plus que sa dernière heure ne fût proche. Il prit sa canne et son chapeau, et suivit machinalement le châtelain.

Une fois dans la grande allée, M. Riquemont, pour prolonger son plaisir, pour savourer à longs traits sa vengeance, commença par entretenir le docteur de choses indifférentes. Il lui soumit plusieurs questions d’agriculture : il lui parla de la rentrée des foins, de l’espoir