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LE DOCTEUR HERBEAU.

bras du docteur, M. Riquemont en avant, Colette par derrière, tous les chiens gambadant autour du cortége. Louise, bien qu’elle ne fût pas dans le secret des préoccupations de ses deux compagnons, était redevenue triste et silencieuse, car elle comprenait que ce nouvel épisode ne ferait qu’irriter l’humeur de son mari et l’encouragerait dans ses projets contre le docteur. Quant à celui-ci, il allait, soutenu par elle plutôt qu’il ne la soutenait, sur les pas du farouche Riquemont, dont le fusil, incliné sur l’épaule, semblait avoir au bout du canon un œil de cyclope qui le menaçait. Ils arrivèrent ainsi au logis sans avoir échangé une parole. Seulement, de loin en loin, la jeune femme pressait doucement le bras de son vieil ami, comme pour le plaindre et le consoler.

Le dîner fut médiocrement gai. Assise auprès du docteur, Louise ressemblait à la coupe, attribut d’Esculape, qu’entoure un serpent de ses anneaux entrelacés, et dans laquelle il plonge sa tête symbolique. Assis en face, M. Riquemont les tenait tous deux sous son regard d’épervier.

— Il paraît, monsieur, dit-il au docteur en lui servant du potage, que vous exercez la médecine à la façon dont les chats font l’amour, sur les toits. Le procédé est nouveau, ce me semble, car je ne sache pas que votre maître Hippocrate en ait jamais parlé.

M. Herbeau essaya de sourire. Louise raconta comment s’était passée la chose ; mais M. Riquemont ne répondit pas.

— Savez-vous, monsieur, que vous êtes superbe ? reprit-il en lui versant à boire. Je ne vous avais jamais vu dans un si galant équipage. Vous avez l’air d’un croque-mort. Vous aimez le noir : vous en avez le droit.

— Monsieur… murmura le docteur d’un air suppliant.

— Ne vous emportez pas, que diable ! Toujours vif comme un petit salpêtre. À propos, docteur, quel âge avez-vous ?

À cette question insidieuse, le docteur rougit et balbutia.

— Papa, quel âge avez-vous ? répéta l’impitoyable Riquemont.

— Monsieur, dit enfin Aristide, au mois de juillet de l’an passé j’ai dû compter quarante-neuf ans.

— En ce cas, monsieur, répliqua le bourreau, comme nous sommes au mois de juillet de l’année courante, tout bien calculé vous avez, sauf erreur, vos petits cinquante ans. C’est un bel âge pour marier ses enfans, ajouta-t-il en versant du vin dans son verre. Il serait difficile d’ailleurs de trouver un vieillard mieux conservé que vous. Vous avouez cinquante ans, mais vous n’en portez pas soixante. La