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LE PARATONNERRE.

plus de peine à comprendre le changement survenu dans les manières de son mari. La rudesse bourrue du capitaine avait fait place à une sorte d’aménité doucereuse ; sa physionomie de hérisson grimaçait benoîtement, et, avec de la bonne volonté, on pouvait prendre cette grimace pour un sourire. Il marchait à pas comptés, parlait doucement, était de l’avis de tout le monde, se mouchait à petit bruit. Jamais, en un mot, pareille ni si prompte métamorphose. M. Richomme lui-même en fut frappé.

— Sur quelle herbe a marché votre mari ? demanda-t-il à sa belle-sœur ; ce matin, c’est un vrai mouton.

Au lieu de répondre, Mme Baretty sourit languissamment et leva les yeux au ciel.

Après déjeuner, le capitaine vint à moi d’un air de bonne humeur.

— Eh bien ! monsieur Duranton, me dit-il familièrement, voilà le temps qui est redevenu superbe. Avez-vous toujours envie d’aller au Grindelwald ?

La veille, en courant après les perdreaux, j’avais parlé vaguement de mon désir de visiter les glaciers de l’Oberland.

— Pour qu’une pareille partie fût agréable, il faudrait être au moins deux, répondis-je sans pressentir l’embarras où m’allait jeter cette imprudente réponse.

— C’est aussi mon avis, reprit le vétéran en me présentant sa tabatière. Je ne suis jamais allé au Grindelwald ; si vous voulez, nous ferons cette petite course ensemble.

Je m’attendais si peu à cette amicale proposition, que dans le premier moment la surprise me coupa la parole. Machinalement je regardai Mme Baretty, qui se trouvait derrière son mari. D’un coup d’œil prompt et impérieux, sur le sens duquel il était impossible de se méprendre, elle me dit : Acceptez.

Pour me donner un pareil ordre, elle avait sans doute des raisons qu’elle se réservait de me faire connaître plus tard ; mais au préalable il fallait obéir. C’est ce que je fis, en pestant au fond du cœur contre les beautés de la nature.

— Enchanté de vous avoir pour compagnon de voyage, répondis-je de l’air le plus riant qu’il me fut possible de feindre.

— En ce cas, répartit le capitaine, qui nous empêche de partir aujourd’hui, sur-le-champ ? Il n’est que midi, à deux heures nous serons à Thun, où nous laisserons notre voiture. Si le bateau qui fait le service régulier est déjà parti, nous en trouverons facilement un autre. Nous dînerons à Unterseen, et nous pousserons une reconnais-