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reux, sa bouche demi-souriante s’épanouissait comme une rose. Son costume était on ne peut plus galant, habit noir qu’il portait pour la première fois, rappelant par sa coupe les meilleures traditions du xviiie siècle ; cravate blanche, négligemment enroulée ; jabot étincelant ; épingle de diamant brochant sur le tout ; manchettes de batiste tombant à mille plis sur des mains potelées ; gilet de satin noir éblouissant ; culotte et bas de soie de la même couleur, dessinant une jambe juvénile et fine encore en sa mâle vigueur ; souliers à boucles d’argent toutes neuves ; chaîne d’or et breloques chatoyant sur le ventre ; ongles roses, taillés en ogives ; pierre fine brillant à l’annulaire de la main droite ; le tout exhalant les senteurs de l’iris et singulièrement relevé par une fière mine et par une grace tout-à-fait guerroyante.

— Seigneur Dieu ! où donc allez-vous ? s’écria Mme Herbeau stupéfaite.

— Je vais, répondit le docteur, dîner chez le curé de Savigny.

— Vous iriez dîner chez un évêque, répliqua Mme Herbeau d’une voix aigre, que vous ne seriez pas mis de la sorte.

— Je vais où il me plaît d’aller, riposta le docteur sans s’émouvoir.

À ces mots, au lieu de cravache, il prit son jonc à pomme d’or, et gagna le devant de sa porte, où l’attendait Colette sellée et bridée.

— Aristide, dit Mme Herbeau de plus en plus émerveillée, il se passe des choses que je ne dois pas savoir.

— Alors pourquoi m’interroger ? répondit Aristide en enfourchant Colette.

Et il partit au pas de sa monture, sans avoir déposé sur le front de son épouse le baiser accoutumé. Après l’avoir long-temps suivi du regard, Adélaïde se frotta les yeux et se demanda si elle était bien éveillée. Au bout d’une heure, le facteur de la poste lui remit un paquet au timbre de Montpellier. À la suscription, Mme Herbeau reconnut l’écriture de son fils bien-aimé. Elle brisa le cachet d’une main émue, et trouva sous l’enveloppe trois lettres incluses. La première qu’elle ouvrit était ainsi conçue :

« Ma chère et tendre mère,

« Je suis fort étonné que vous vous étonniez de ne me point voir arriver à Saint-Léonard. J’espère que les deux lettres ci-incluses vous donneront de ma conduite une explication satisfaisante. Je vous réponds à la hâte ; l’heure du courrier me presse, et lord Flamborough est là qui m’attend.