Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/401

Cette page a été validée par deux contributeurs.
397
LE DOCTEUR HERBEAU.

ne l’avait jamais vu ainsi, l’observait avec un étonnement mêlé d’inquiétude. Elle voulut l’interroger, mais il ne répondit pas, et, comme elle insistait, il ne se gêna point pour lui imposer silence. C’était le monde renversé : Aristide maître en sa maison ! Parfois un sourire infernal sillonnait, comme un éclair, son visage assombri : c’est qu’alors il songeait au lendemain, au jour promis à sa vengeance. En effet, mercredi tirait à sa fin ; le jour du rendez-vous était proche.

De son côté, Adélaïde n’attendait pas ce jour avec une moindre impatience. Alarmée de ne point voir arriver son fils, surprise de ne pas même recevoir de réponse à la lettre pressante qu’elle lui avait adressée, se doutant de quelque mystère, Mme Herbeau avait pris le parti, à l’insu du docteur, d’écrire de nouveau à Célestin pour lui demander raison de son retard et de son silence, lui enjoignant expressément de répondre courrier par courrier, s’il ne voulait encourir la malédiction maternelle. À ce compte, une lettre de Célestin devait arriver le lendemain, jeudi, à Saint-Léonard, à moins que ce malheureux enfant ne fût mort, ou que Mme d’Olibès ne retînt à la poste la correspondance de la maison Herbeau, à moins enfin que Célestin n’arrivât lui-même en personne.

Le couple dormit peu ou point. Aristide se leva avec le soleil ; mais, au lieu de seller Collette et de partir pour les alentours, ainsi qu’il en avait l’habitude, il s’alla promener en pantoufles dans son jardin. Il huma le grand air et lut quelques odes d’Horace. Sur le coup de dix heures, il déjeuna de grand appétit et but à lui seul une bouteille de vieux bordeaux. Adélaïde n’en revenait pas de le voir agir de la sorte. Mais ce fut bien autre chose, lorsqu’après le déjeuner elle vit son époux, le docteur Herbeau, procéder à la plus brillante toilette qu’il eût faite de sa vie entière, et cela sans parler, sans mot dire, s’agitant en silence comme un automate. — Que signifie ceci ? expliquez-moi cela ? disait-elle. — Rien, pas un mot, pas même un regard.

Elle se démenait autour de lui, inquiète, éperdue, comme une poule qui, ayant couvé des œufs de canard, voit ses petits à peine éclos courir et se jeter à l’eau.

La toilette du docteur achevée, Adélaïde ne put s’empêcher d’admirer son époux ainsi façonné. À vrai dire, il paraissait vingt ans. Son visage fraîchement rasé avait la blancheur mate et parfumée d’un pain de savon à la pâte d’amandes. Sous la perruque poudrée à frimas, son front rayonnait du suave éclat de la jeunesse ; ses yeux lançaient des jets de flammes ; sous son nez gonflé de projets amou-