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LE DOCTEUR HERBEAU.

Louise rentra dans sa chambre et fondit en pleurs. Telle était donc la récompense de ses pieuses intentions ! Mais la noble enfant ne se laissa pas décourager par ce premier échec ; elle ne cherchait pas un prétexte à sa faiblesse, mais un appui, une sauvegarde. Elle imposa silence aux rébellions de son amour-propre offensé, et, moins jalouse de sa dignité que de son salut, elle employa une partie de la nuit à écrire à son mari ce qu’il avait refusé d’entendre. Ce fut une lettre touchante, telle que nul ne saurait l’écrire, adorable dans ses aveux, dictée par un sentiment ingénu, plus charmant et plus méritoire que l’irréprochable vertu. La candeur et l’effroi d’une ame timorée s’y révélaient à chaque ligne. C’était le cri d’une conscience troublée, plus précieuse et plus respectable que l’austère innocence en sa sécurité.

Le lendemain, après avoir fait remettre par un serviteur cette lettre à M. Riquemont, Louise attendit la réponse avec anxiété. Elle connaissait le caractère emporté de son mari, son humeur atrabilaire, ses susceptibilités étroites. D’ailleurs, elle se sentait coupable vis-à-vis de lui, vis-à-vis d’elle-même ; aussi, pour prix de ses aveux, la mort lui aurait semblé douce. Au bout d’une heure, les pas lourds et pesans de M. Riquemont se firent entendre. L’innocente coupable recommanda son ame à Dieu et s’apprêta à mourir. M. Riquemont parut ; il tenait à la main la lettre de sa femme. Louise baissa la tête et attendit l’arrêt de son juge. Après un long silence, durant lequel il tint Louise palpitante sous son regard :

— Il ne manquait plus que cela ! s’écria-t-il d’un ton ironique ; vous m’écrivez ! Je vais être obligé d’établir à Riquemont une petite poste pour desservir notre correspondance ! Je suis en effet un mari si terrible et si redoutable ! Vous allez voir que j’interdis à madame la liberté de la parole.

— Mon ami, dit Louise sans lever les yeux, j’ai voulu vous parler hier, et…

— Eh bien ! vous en ai-je empêchée ? ai-je refusé de vous entendre ? mais vous avez préféré m’écrire. Cela flattait vos goûts romanesques.

— Mon ami…

— Vous êtes romanesque, ne vous en défendez pas. Vous avez des prétentions au beau style, voici long-temps que je m’en aperçois. Avant qu’il soit peu, vous écrirez de petits chefs-d’œuvre. Puis vous publierez vos mémoires. Voilà qui me plaît dans une femme ! Je prétends, au jour de votre fête, vous faire présent d’une bouteille d’encre et d’un paquet de plumes d’oie.